<251>Lorsqu'au siècle de fer, siècle où naquit le vice,
L'audace du plus fort tenait lieu de justice,
Contre de fiers voisins, au pillage excités,
On entoura de murs les naissantes cités.
Bientôt, pour asservir des citoyens rebelles,
L'autorité des rois bâtit des citadelles,
On éleva des forts et des remparts nouveaux
Sur la cime des monts, aux confluents des eaux,
D'ouvrages menaçants on ceignit les frontières.
Tel que du double rang de ses dents carnassières
Le lion rugissant présente avec fierté
Le terrible appareil au Maure épouvanté,
Tel d'un puissant État la frontière assurée,
Bravant des ennemis la fureur conjurée,
Ralentit leur ardeur par ses puissants remparts.
La guerre en tous les temps fut le premier des arts;
Ainsi que ses progrès, cet art eut son enfance :
La Grèce et l'Ausonie, assurant leur puissance.
N'avaient imaginé de plus puissants secours
Que l'épaisseur des murs et la hauteur des tours.
De ces lieux élevés ils défendaient les brèches
En employant la fronde ou décochant des flèches;
Des pierres écrasaient les soldats assaillants.
Lorsqu'on serrait de près ces défenseurs vaillants,
Lorsqu'on battait un mur par des béliers terribles,
De bitume et de poix les masses combustibles
Tombaient sur la machine, et des traits meurtriers
Perçaient les assaillants malgré leurs boucliers;
Souvent les généraux, lassés d'efforts stériles,
Quittaient pleins de dépit ces travaux inutiles.
Je ne vous parle point de ce siége fameux
Qui fit périr Priam et ses fils malheureux :
J'honore d'Ilion la poétique cendre
Et ces combats livrés sur les bords du Scamandre;
Mais ce sujet si beau, par Virgile chanté,
Oterait à mes vers leur mâle gravité.
Voyez Rome occupée à prendre Syracuse,
Et Métellea employer la valeur et la ruse
Pour emporter ces murs à force de travaux;
Là, voyez Archimède éluder ces assauts,b
De la ville et des tours réparer les ruines,
Arrêter les Romains et brûler leurs machines.
Marseille, de ses forts jusqu'alors indomptés,
Repoussa de César les assauts répétés;
Lassé de ces longueurs, mais sûr de sa fortune,
César soumit Marseille à l'aide de Neptune;
Les siéges des Romains, tous longs et meurtriers,
Suspendaient les destins des plus fameux guerriers.
Longtemps après César, le démon de la guerre
Des mains de Jupiter arracha le tonnerre;
Tout changea dans cet art par ces foudres nouveaux,
L'airain vomit en l'air des globes infernaux
Qui, s'élevant aux cieux par une courbe immense,
Redoublent, en tombant, de poids, de véhémence,
Abîment les cités, s'envolent en éclats,
Et de leur flanc cruel élancent le trépas.
Bientôt de sesa remparts le canon homicide,
Avec un bruit affreux et d'un essor rapide,


a Marcelle. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 399.) Voyez ci-dessus, p. 71.

b Les assauts. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 399.)

a Ces. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 400.)