<328>Les ministres que les princes entretiennent dans les cours étrangères sont des espions privilégiés qui veillent sur la conduite des rois chez lesquels ils résident; ils doivent pénétrer les desseins de ces princes, éclairer leurs démarches, approfondir leurs actions, pour en informer leurs maîtres et les avertir à temps, s'ils en aperçoivent de contraires à leurs intérêts. Un des principaux objets de leur mission est de cimenter les liens d'amitié entre les souverains; mais au lieu d'être des artisans de paix, ils sont souvent des organes de la guerre. Ils savent délier les liens les plus sacrés du secret par l'appât de la corruption; ils sont souples, accommodants, adroits et rusés; et comme leur amour-propre va de pair avec leur devoir, ils se dévouent entièrement au service de leurs maîtres.

C'est contre les corruptions et les artifices de ces espions que les princes ont lieu d'être en garde. Il est nécessaire que le gouvernement soit attentif sur leurs démarches, et qu'il en soit informé, afin que, les devinant d'avance, il puisse en prévenir les dangereuses suites, et cacher aux yeux de ces lynx les secrets que la prudence défend de laisser transpirer. Mais s'ils sont dangereux à l'ordinaire, ils le sont infiniment plus lorsque l'importance de leur négociation augmente; et c'est alors que les princes ne sauraient examiner assez rigoureusement la conduite de leurs ministres, afin d'approfondir si quelque pluie de Danaé n'aurait point amolli l'austérité de leur vertu.

Dans des temps critiques où des traités et des alliances se font, il faut que la prudence des souverains soit plus vigilante qu'à l'ordinaire, qu'ils dissèquent bien la nature des choses qu'ils veulent promettre, pour voir si elles sont telles qu'ils pourront remplir leurs engagements; qu'ils envisagent les traités qu'on leur propose sous toutes leurs faces, afin d'en prévoir les conséquences, et de juger s'ils pourraient servir de base au bonheur solide des peuples et à leur avantage réel, ou si ce n'est qu'un palliatif et une production de l'artifice et de la ruse d'autres souverains. Il faut, de plus, ajouter à toutes ces précau-