<178> on envoie souvent des personnes sans caractère dans des lieux tiers où ils font des propositions avec d'autant plus de liberté, qu'ils commettent moins la personne de leur maître. Les préliminaires de la dernière paix entre l'Empereur et la France furent conclus de cette manière, à l'insu de l'Empire et des puissances maritimes; cet accommodement se fit chez un comte12 dont les terres sont au bord du Rhin.

Victor-Amédée, le prince le plus habile et le plus artificieux de son temps, savait mieux que personne l'art de dissimuler ses desseins. L'Europe fut abusée plus d'une fois par la finesse de ses ruses, entre autres, lorsque le maréchal de Catinat, dans le froc d'un moine et sous prétexte de travailler au salut de cette âme royale, retira ce prince du parti de l'Empereur, et en fit un prosélyte à la France. Cette négociation entre le Roi et le général fut conduite avec tant de dextérité, que l'alliance de la France et de la Savoie qui s'ensuivit parut aux yeux de l'Europe comme un phénomène de politique inopiné et extraordinaire.

Ce n'est point pour justifier la conduite de Victor-Amédée que j'ai proposé son exemple aux rois, il s'en faut de beaucoup; je n'ai prétendu louer en sa conduite que l'habileté et la discrétion, qui, lorsqu'on s'en sert pour une fin honnête, sont des qualités absolument requises dans un souverain.

C'est une règle générale qu'il faut choisir les esprits les plus transcendants pour les employer à des négociations difficiles; qu'il faut non seulement des sujets rusés pour l'intrigue, souples pour s'insinuer, mais qui aient encore le coup d'œil assez fin pour lire sur la physionomie des autres les secrets de leur cœur, afin que rien n'échappe à leur pénétration, et que tout se découvre par la force de leur raisonnement.

Il ne faut point abuser de la ruse et de la finesse; il en est comme


12 Le comte de Neuwied. [ Voyez t. I, p. 193 et 194; voyez aussi Journal secret du baron de Seckendorff, p. 129-138.]