<44> à la terre. De quelque côté que je tourne mes regards, je n'aperçois que des fronts abattus, des visages sombres, l'empreinte de la douleur, des ruisseaux de larmes qui coulent des yeux; je n'entends que des soupirs et des regrets étouffés par des sanglots. Ceci me rappelle la famille royale éplorée, redemandant, mais hélas! en vain, le prince aimable qu'elle a perdu pour toujours.

La haute naissance qui approchait le prince Henri si près du trône, ne fut pas la cause d'une douleur si universelle : la grandeur, l'illustration, la puissance, n'inspirent que la crainte, une soumission forcée, et des respects aussi vains que l'idole qui les reçoit; l'idole tombe-t-elle, la considération finit, et la malignité la brise. Non, messieurs, ce n'était pas l'ouvrage de la fortune qu'on estimait dans le prince Henri, mais l'ouvrage de la nature, mais les talents de l'esprit, mais les qualités du cœur, mais le mérite de l'homme même. S'il n'avait eu qu'une âme vulgaire, peut-être, par bienséance, lui eût-on prodigué de froids regrets, démentis par l'indifférence publique; des éloges peinés, entendus avec ennui; de frivoles démonstrations de sensibilité, qui n'auraient pas abusé les plus stupides; et son nom aurait été condamné à un éternel oubli.

Hélas! que nous sommes éloignés de nous trouver dans ce cas! N'eût-il été qu'un particulier, le prince Henri aurait gagné les cœurs de tous ceux qui l'auraient approché. En effet, qui pouvait se refuser à son air affable, à son abord facile, à ce caractère de douceur qui ne le quittait jamais, à ce cœur tendre et compatissant, à ce génie plein de noblesse et d'élévation, à cette maturité de raison dans l'âge des égarements, à cet amour des sciences et de la vertu dans cette vive jeunesse où la plupart des hommes n'ont qu'un instinct de plaisir et de folie, enfin à cet assemblage admirable de talents et de vertus qui se rencontrent si rarement chez des particuliers, plus rarement encore parmi les personnes d'une haute naissance, parce que leur nombre est moins considérable?