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PROJET DE LA LIGUE A FORMER ENTRE LES PRINCES D'ALLEMAGNE.

Le but de cette ligue, n'étant point offensif, doit être formé dans l'unique intention de soutenir les droits et les immunités des princes d'Allemagne, et cela sans distinction de religion; s'entend que tout ne roulera que sur les droits et priviléges tant stipulés par les anciens usages que par la bulle d'or. Je n'ai pas besoin de rappeler cet ancien apologue où l'on démontre qu'on peut arracher les crins d'un cheval facilement en les tirant un par un, mais qu'on ne saurait arracher la queue d'un cheval en la saisissant en entier. Une ligue telle que je la propose, ne tend qu'à assurer les possessions d'un chacun, et à empêcher qu'un empereur ambitieux et entreprenant ne parvienne à renverser la constitution germanique, en la détruisant par pièces et morceaux.

Si l'on n'y prévoit à temps, l'Empereur pourvoira tous ses neveux de tous les évêchés, archevêchés et abbayes de l'Allemagne; bientôt il les sécularisera, et gagnera la supériorité dans toutes les diètes par les voix de ses neveux. Voilà pour les ecclésiastiques catholiques, que notre constitution nous oblige de maintenir dans leurs droits.

<238>Pour les princes séculiers des deux communions, ils ont un intérêt égal à soutenir les pays qu'ils possèdent, et cette ligue empêche et barre l'Empereur dans toutes les prétentions qu'il pourrait former sur leurs États, comme récemment nous en avons vu l'exemple dans ce qui arriva avec la Bavière.

Un objet non moins intéressant est ce qui regarde la diète de Ratisbonne et la justice de Wetzlar. Si l'on ne prend pas à temps de bonnes mesures pour maintenir dans leur vigueur ces anciens établissements, l'Empereur en profitera pour établir son despotisme dans toute l'Allemagne.

Voilà en gros les points importants qui doivent joindre tous les princes à cette ligue, parce que leurs intérêts sont les mêmes, et que s'ils laissent écraser quelques-uns de leurs égaux, leur tour viendra à coup sûr, et qu'ils n'auront que le privilége de la grotte de Polyphême, d'être mangés les derniers. Or, l'avantage de cette ligue consiste en ce que, si l'Empereur veut abuser de son pouvoir, la voix réunie de tout le corps germanique peut lui en imposer et lui donner des sentiments de modération, ou que, s'il regimbe, il trouvera assez forte partie, qui pourra opposer ses forces aux siennes, sans compter les alliés que le corps germanique pourra persuader à embrasser ses intérêts.

Voilà, je crois, des considérations qui méritent d'être mûrement pesées. Je ne me suis arrêté qu'aux objets principaux; mais on pourrait y ajouter plus de détails, et remplir, pour plus d'éclaircissement, des détails dans lesquels je ne suis pas entré, parce que cela m'aurait mené trop loin; mais ce qui sont des minuties dans un projet proposé dans le grand, deviennent des morceaux intéressants, traités avec connaissance de cause, et je crois que M. de Hertzberg serait très-capable d'étendre ces idées, et de leur donner la dernière sanction.

Federic.

<239>Je suis bien aise de vous communiquer par la présente le projet ci-joint de la ligue à former entre les princes d'Allemagne, écrit de ma propre main, qui vous fera voir toutes mes idées sur cet objet. Je suis sûr qu'en l'exposant et amplifiant un peu, il ne pourra que fructifier et produire son effet sur les différents princes de l'Empire. Sur ce, etc.

A Potsdam, le 24 octobre 1784.

Federic.

Aux ministres d'État et de Cabinet le comte
de Finckenstein et le sieur de Hertzberg.

LETTRE DU ROI A SES MINISTRES DE CABINET.

J'ai reçu vos représentations en date d'hier. Si vous, sieur de Hertzberg, voulez me faire le plaisir de venir passer quelques jours ici, je pourrais vous expliquer toutes mes idées en détail sur l'objet dont il est question.

La première chose par laquelle il faut débuter, c'est de s'expliquer verbalement avec les princes de l'Empire, pour leur faire sentir leur situation et celle où ils pourraient se trouver un jour. Souvenez-vous que lorsque la ligue de Smalcalde se forma, il exista de terribles embarras pour unir les princes, qui étaient divisés les uns les autres. Il y avait un duc de Brunswic, qui avait été arrêté dans ces petites guerres d'alors. L'électeur de Brandebourg ne voulait entendre parler de ligue avant qu'on ne relâchât ce prince. L'électeur de Saxe ne voulait entrer en aucune liaison avec le roi d'Angleterre, ni avec la<240> France, ni même avec les Suisses, parce qu'il se faisait un cas de conscience de s'allier avec Henri VIII, dont la religion n'était pas entièrement conforme avec celle de Luther, ni avec François Ier, qui persécutait les protestants dans son pays, et avec les Suisses, parce qu'ils étaient calvinistes. Il y avait le landgrave de Hesse, qui contestait tous ces points, mais qui ne put jamais persuader l'électeur de Saxe, et qui n'entra dans ces mesures qu'après que Charles-Quint se fut exprimé avec beaucoup d'arrogance dans la diète de Ratisbonne. Ce fut cette harangue qui réunit ces princes, leur fit lever la crête et rassembler des troupes.

Dans cette affaire-ci, il ne s'agit pas de réunir les États, mais de les réveiller, pour qu'ils maintiennent leurs constitutions, et ne s'endorment pas sur leurs propres intérêts. Il n'est pas question non plus de faire la guerre, à moins que des usurpations de l'Empereur ou des actions illégales n'obligent les princes de l'Empire à réunir leurs forces pour s'opposer à ses violences et usurpations. Mais pour parvenir à tout ceci, mon idée serait de ne s'expliquer que verbalement sur ce projet d'une telle ligue, pour entendre ce que chacun y répondra, et des difficultés ou des facilités qu'il paraîtra y donner. L'intérêt de tous les évêques catholiques doit les faire adhérer nécessairement à ce projet; et si l'Électeur palatin était mort, nous pourrions compter sur la Bavière et la Saxe, peut-être sur l'électorat de Hanovre, sur Trèves, Bamberg, Würzbourg, Fulde; et si la France se brouillait avec la maison d'Autriche, nous pourrions ajouter à tous ceux-ci le duc de Würtemberg et les villes impériales de la Souabe. Mais si la France reste attachée à la cour de Vienne, il faut décompter Würtemberg, Bade, le Palatinat, l'électeur de Trèves, et autres. Si nous ne faisons rien et restons les bras croisés, il est aussi sûr que deux et deux font quatre, que personne ne pensera à une telle alliance, et qu'on lâchera la bride à l'Empereur pour faire tout ce qu'il voudra. Mais si nous sondons le terrain par nos différents ministres, l'on<241> entendra ce que ces gens-là disent, et il est très-certain que si après cela il arrive quelque action contraire de l'Empereur, qu'il n'y aura qu'une voix pour faire des représentations.

J'attends votre arrivée ici, sieur de Hertzberg, pour vous parler plus amplement là-dessus, et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

A Potsdam, le 1er novembre 1784.

Federic.

Aux ministres d'État et de Cabinet le comte
de Finckenstein et le sieur de Hertzberg.