89. A LA MÊME.

Königsberg, 17 juillet 1740.



Ma très-chère sœur,

Je viens de recevoir vos deux charmantes lettres. Vous avez trop de bonté de vous intéresser tant à mon sort. Ma destinée errante me promène de province en province. Dans huit jours, après l'hommage, je suis de retour à Berlin, et de là je pars, le mois qui vient, pour Wésel. Vous voyez par là, ma très-chère sœur, que pour courir le monde on n'en devient guère meilleur. Votre histoire de Vérone m'a été confirmée par Algarotti; mais il y ajoute la circonstance, qui<99> éclaircit merveilleusement ce phénomène, que les domestiques de la dame italienne la réduisirent dans l'état que rapporte l'histoire. Je ne crois point aux choses extraordinaires; et plus je vois de merveilleux dans une histoire, et moins j'y ajoute foi. Il y a ici un monde infini, et plus de cent quatre-vingts vaisseaux marchands; le port est comme une forêt où les arbres sont couronnés de banderoles au lieu de feuilles. Tout ce monde et toute cette opulence ne me touchent guère; je serais bien plus flatté du plaisir de vous voir et de vous embrasser; mais, errant comme je suis, je ne sais point quand je pourrai avoir cette satisfaction. Ne m'oubliez pas, ma très-chère sœur, et soyez persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.