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311. AU MÊME.

( Schönwalde) 6 mai 1778.



Mon très-cher frère,

Je réponds premièrement, mon cher frère, au sujet de la lettre que l'impératrice de Russie vous a écrite. Je vous avoue que je la trouve un peu froide et sèche. Vous pourriez cependant lui répondre que, en conformité de ses idées, on faisait tout pour s'accommoder, sans cependant savoir si l'on pourrait y réussir, et que le système et le maintien des constitutions germaniques était un point de si grande importance, que, au cas que la cour de Vienne ne voulût pas se modérer, il faudrait bien que les armes en décidassent.

J'en viens présentement à votre seconde lettre, qui demande plus de détails de ma part. Je commence par ce qui regarde la paix, et vous saurez sans doute que Cobenzl a commencé de parler;485-a et voici les points sur lesquels doit rouler la négociation : 1o que la cour de Vienne indemnise l'Électeur palatin, pour qu'il puisse contenter l'électeur de Saxe; 2o que la cour de Vienne renonce aux fiefs qu'elle a en Saxe, en faveur de cet électeur; 3o que, pour ôter d'avance les aliments qui pourraient produire une nouvelle guerre, l'on convienne de l'arrangement des successions de Baireuth et d'Ansbach. Voilà, mon cher frère, de quoi il s'agit, et comme je ne lis pas dans le cœur des hommes, je ne saurais vous dire si nous pourrons nous accommoder sur tous ces sujets avec les Autrichiens, car vous voyez de tous côtés des difficultés énormes. D'autre part, l'on croit à Vienne que votre armée n'est qu'un corps qui se doit tenir sur la défensive, et je suis sûr que le projet de l'ennemi est de porter et d'établir le théâtre de la guerre en Saxe. Pour vous faciliter les moyens d'arriver aussi vite que les Autrichiens, c'est de vous faire appeler en Saxe quand le<486> comte Finck et Hertzberg jugeront que la négociation est sur le point de se rompre. Cela peut vous faire gagner quatre jours; de plus, si vous avancez un corps à Cottbus et Peitz, vous gagnez encore du temps par là; mais il reste toujours certain que les Autrichiens sont plus près de Dresde et de Zittau que vous ne l'êtes. Or, mon cher frère, quand Cobenzl sera entré en matière, je vous dirai bientôt ce que j'augure de la paix; si l'on donne satisfaction au Palatin, si l'on entre dans les propositions que je vous ai marquées, il n'y aura sans doute point de guerre, parce que, la cause étant levée, les effets ne peuvent plus avoir lieu; mais je doute que la cour de Vienne pousse sa modération aussi loin, et je crois qu'elle se roidira plus que vous ne pensez, par morgue et par hauteur. Si cela en vient à la guerre, il faut sans doute, mon cher frère, que vous soyez le premier en action. Mais, pour vous favoriser, j'ai dessein de faire, de mon côté, des incursions en Bohême, et de donner de ce côté des jalousies, comme si mon intention était d'y entrer avec toute l'armée. De cette façon, j'attirerai toujours un corps d'ennemis vers Königingrätz, ce qui facilitera vos opérations, et quand je vous saurai au delà de Dresde, alors je marcherai en Moravie, où il faut nécessairement qu'une bonne bataille décide du reste. En attendant, mon cher frère, le comte Finck vous avertira de tout; mais, quoi qu'il arrive, cette négociation ne peut être rompue qu'au mois de juin. Cependant, si les Autrichiens veulent véritablement la paix, et que je voie jour à un accommodement, je vous le manderai moi-même. Je suis, etc.


485-a Voyez t. VI, p. 216 et suivantes.