10. AU MÊME.

Potsdam, 18 septembre 1746.



Mon très-cher frère,

Vous ne pouvez mieux employer le temps qu'à éclairer votre esprit et augmenter vos connaissances. L'état auquel votre sort vous appelle demande non seulement des intentions droites, mais encore une grande capacité. Je regrette tous les jours de ma vie que je n'ai pas voués à l'application et à l'étude. On ne peut assez perfectionner la justesse de son raisonnement, ni la pénétration de son esprit. L'histoire des temps passés sert de supplément à notre expérience, et l'on trouve dans ce répertoire d'événements des tableaux de tout ce qui peut arriver de nos jours. Des différentes espèces de livres qui se sont écrits, il y en a trois sortes, ce me semble, qui conviennent le mieux pour ceux que leur naissance destine à la politique : ce sont les livres qui concernent l'histoire, et qui se trouvent accompagnés de bonnes<107> réflexions, comme Tacite, Tite-Live, Plutarque, etc.; d'autres sont des livres de négociations, comme les Mémoires du chevalier Temple, les Lettres du comte d'Estrades, les Mémoires de Philippe de Comines, etc.107-a Les ouvrages de critique en tout genre sont de la troisième espèce. La critique, quand elle est judicieuse, est très-instructive; elle apprend à distinguer et à discerner le bon du mauvais, l'éclat de la vérité du fard de l'apparence; elle découvre avec un œil perçant la vérité sous le voile captieux d'un discours qui la cache; elle observe la connexion d'un discours, pèse la validité des raisons, et apprécie au juste le degré de probabilité qu'elles ont. Il y a une infinité d'ouvrages dans ce genre sur toutes sortes de sujets différents, et dont on peut faire un grand profit. Je vous demande pardon du long verbiage que je vous fais; le plaisir que j'ai de vous écrire me fait oublier que je vous ennuie. J'attends avec impatience le plaisir de vous embrasser, vous priant de me croire avec les sentiments les plus tendres, mon cher frère, etc.


107-a Voyez t. II, p. XV.