11. AU MÊME.

Potsdam, 27 août 1743.



Mon cher Rottembourg,

Je souhaiterais d'apprendre que toutes vos esquilles fussent une bonne fois sorties de vos plaies, car je vous avoue que je serai en peine pour vous, tant que ce bras ne sera pas totalement fermé. Je ne m'étonne point du petit congrès qui se tiendra à Aix, mais il ne produira rien; il en est de cette guerre comme de ces abcès qui se forment, que l'on ne guérit point, si on tente de les ouvrir trop tôt, mais où l'on réussit lorsque, après que la matière est bien cuite, on y fait une incision. Ces messieurs vos politiques me font bien de l'honneur de penser à moi, pendant que le roi d'Angleterre m'éclipse; mais vous savez qu'en ce monde un chacun a son tour. Je travaille dans mon intérieur; je fais fortifier la Silésie avec tout l'effort possible; je complète mon augmentation; je remplis mes arsenaux et mes magasins; je règle mes finances; je paye les dettes de l'État; et voilà à peu près où se bornent<578> mes occupations,578-a très-persuadé que l'on n'est grand au dehors qu'à proportion que l'on est puissant et bien arrangé dans son intérieur.

Le régiment de Würtemberg est complet, à deux cents hommes près; celui de Darmstadt est déjà de neuf cents hommes; les grenadiers de l'augmentation sont complets, à peu de chose près; le régiment de Dossow se forme, et le reste de mes augmentations va fort bien; de façon que, sans exagération, mes dix-huit mille hommes seront complets au mois de mai de l'année qui vient.

Je fais un petit voyage à Baireuth et Ansbach pour entendre moi-même la façon de penser des petits princes, et pour pressentir leurs sentiments;578-b je ne serai de retour que le 24 de septembre, que vous me ferez plaisir de vous rendre ici.

Je vous prie, faites bien parvenir par un canal détourné à l'évêque de Mirepoix les vers de Voltaire. Je voudrais le brouiller pour jamais avec la France; ce serait le moyen de l'avoir à Berlin.

J'ai envoyé à Chambrier toute une étiquette de maîtres de ballets, dont il doit choisir le meilleur et la meilleure danseuse pour l'Opéra de cet hiver.

Adieu, cher Rottembourg; je fais mille vœux pour votre santé, vous priant de me croire avec toute l'estime et l'amitié imaginable, etc.

EXPRESSIONS DE VOLTAIRE.

Ah! que le précepteur de notre roi est différent du précepteur de notre dauphin!578-c

Non, non, pédant de Mirepoix,
Prêtre avare, esprit fanatique,

<579>

Qui prétends nous donner des lois,579-a
Tel qu'un vieux prieur séraphique
Dans un cloître de Saint-François,
Cuistre imbécile et tyrannique,
Fait pour chanter à haute voix
Ton rituel soporifique579-b
Dans un couvent de Saint-François,
Sur moi tu n'auras point de droits.
Loin de ton ignorante clique,
Loin du plus stupide des rois,
Je vais oublier à la fois
La sottise de Mirepoix
Et la sottise académique.579-c


578-a Voyez t. III, p. 28.

578-b L. c, P. 27.

578-c Lettre de Voltaire à Frédéric, du mois de juin 1743; voyez notre t. XXII, p. 147.

579-a Voltaire dit dans la même lettre : « Ce vilain Mirepoix est aussi dur, aussi fanatique, aussi impérieux que le cardinal de Fleury était doux, accommodant et poli. O qu'il fera regretter ce bonhomme! » L. c., p. 147.

579-b Voltaire dit dans ses vers

Au roi de Prusse

(édit. Beuchot, t. XIV, p. 410) :

Pour ce Boyer, ce lourd pédant,
Diseur de sottise et de messe, etc.;

et dans sa lettre à Frédéric, du 28 juin 1743 : « Que je ne voie point ce cuistre de Boyer. » Voyez t. XXII, p. 151 de notre édition.

579-c Voyez t. XVII, p. 274.