3. DU COMTE DE MANTEUFFEL.

Berlin, 4 décembre 1735.



Monseigneur,

La lettre que Votre Altesse Royale m'a fait la grâce de m'écrire dès avant-hier, 2 du courant, mais que je n'ai eu l'honneur de recevoir que tantôt, à midi, m'aurait pris sans vert, si je n'y avais été préparé en quelque manière par une autre que je reçus hier au soir du baron de Pöllnitz. Il me mandait que V. A. R. l'avait entretenu sur mon sujet d'une manière très-capable de me donner de la vanité, et qu'elle devait m'avoir écrit, dit-il, pour s'excuser de décider d'un ouvrage que je lui avais envoyé.

Cet avis supposant que j'aurais eu l'effronterie d'exiger une déci<442>sion de V. A. R., à quoi cependant j'étais bien sûr de n'avoir jamais songé, je crus d'abord que je pourrais, par inadvertance, avoir dit quelque chose d'approchant dans le peu de lignes dont je m'étais donné l'honneur d'accompagner les observations sur les écrits modernes que j'avais pris, monseigneur, la liberté de vous envoyer le 28 du précédent. C'est pourquoi, ayant eu recours à la note que j'en avais gardée, et n'y ayant rien trouvé qui eût pu me faire soupçonner de tant d'impertinence, je me contentai de répondre à Pöllnitz que je ne comprenais rien à ce qu'il m'avait mandé sur ce sujet. Cependant qui fut bien surpris, ce fut moi, quand le domestique qui avait porté ma lettre à la poste m'apporta la susdite de V. A. R.

Je ne sus d'abord que dire de son premier début, ni de ce très-ingénieux trait de sermon par lequel elle avait bien voulu la finir. J'eus besoin de la relire plus d'une fois, avant que de pouvoir m'imaginer que cette apostrophe pût me regarder. N'ayant enfin pu en douter, je me suis donné la torture pour deviner par où je pourrais me l'être attirée. Mais j'ai beau repasser dans mon esprit tout ce que je puis avoir jamais dit ou pensé sur le chapitre de V. A. R., je n'y trouve rien qui ait jamais démenti ces sentiments respectueux et, si je l'ose dire, passionnés qui m'ont de tout temps attaché, non au haut rang qu'elle tient dans le monde, mais à sa personne.

Je puis en appeler hardiment au témoignage de tous les gens de bien que j'ai trop souvent entretenus sur son sujet, et à la toute-science de celui qui connaît jusqu'aux moindres replis de nos cœurs, et je crois pouvoir conclure, après cela, que toutes ces idées qui semblent m'avoir attiré le trait de sermon doivent avoir été insinuées par quelqu'un de ces faux frères qui, pour faire pièce à un honnête homme, savent lui prêter en temps et lieu ce que leur malice naturelle leur a fait penser ou dire eux-mêmes.

Non, monseigneur, je ne me sens pas dépeint dans ce que V. A. R. m'a fait l'honneur de me dire dans la lettre en question. Je sais que<443> j'ai mille autres défauts; mais je ne suis certainement pas assez insensé pour m'aviser de lui jeter des amorces; je n'ai ni l'esprit ni le cœur assez mal placé pour porter un jugement aussi téméraire, aussi gauche, qu'on semble m'avoir attribué, en voulant me desservir auprès d'elle.

Plût à Dieu que j'eusse la conscience aussi nette envers lui que je l'ai à votre égard, monseigneur! Je serais sûr d'avoir toujours vécu sans reproche dans ce monde, et de n'avoir jamais de Belzébuth à craindre dans l'autre.

Je devrais demander pardon à V. A. R. de la longueur de cette jérémiade; mais je suis si touché du changement que je n'ai pu manquer de sentir dans sa façon de s'exprimer à mon égard, qu'il m'est impossible d'en rien retrancher. J'aime encore mieux vous avoir ennuyé, monseigneur, que de vous laisser dans une prévention qui pourrait me faire perdre innocemment l'honneur de vos bonnes grâces, l'unique bien souverain auquel j'aspire, et qui démentirait la dévotion sans bornes avec laquelle j'ai fait vœu d'être toute ma vie, etc.