<167> plus l'argent que les bons livres; ainsi j'espère que les jura stolae l'emporteront sur le scrupule.

Un géomètre français m'écrit avec emphase qu'il a découvert la quadrature du cercle, et que toute l'Europe est jalouse de lui. Autant que je m'entends à ces matières, cette quadrature est impossible, à cause que les sections sont impaires, et même que si par son calcul il en approchait de plus près que ses devanciers, cette découverte n'en serait pas moins inutile. Ces hautes sciences ne deviennent utiles à la société qu'autant qu'on les applique à l'astronomie, à la mécanique et à l'hydrostatique; d'ailleurs, elles ne sont qu'un luxe de l'esprit.a

Nous avons ici un véritable génie de mécanicien; il s'appelle Hermite;b fécond en inventions ingénieuses et utiles, il ne lui manque que de la célébrité; sa simplicité et sa modestie relèvent autant son mérite que ses connaissances. Si dans un pays on pouvait découvrir tous les talents que la nature se plaît à distribuer au hasard, et qu'on pût employer chacun dans son genre, ce pays deviendrait bientôt le premier de l'Europe. Mais que de sagacité, de soins infinis et de patience faudrait-il pour de telles découvertes! Le fatum s'est réservé la direction de nos destinées. A bien examiner la chose, nous y avons moins de part que notre orgueil ne nous en attribue.

J'en viens à présent au buste de Voltaire, dont je vous prie de reculer l'envoi jusqu'au mois de septembre, où tout sera exactement payé. La lettre que vous avez écrite à Catt m'a fait bien du plaisir. Rapportez-vous-en à la réponse que vous recevrez de lui. A notre âge, il n'y a pas de moments à perdre; ou il faut se voir vite dans ce monde-ci, ou se donner rendez-vous dans la vallée de Josaphat, et


a Voyez t. XIX, p. 360 et 361; t. XXI, p. 169; t. XXII, p. 206 et 226; et t. XXIII, p. 346.

b Ce mécanicien nous est aussi inconnu que le physicien Célius, dont Frédéric parle avec éloge dans ses lettres au comte Algarotti et à Voltaire, du 4 décembre 1739, t. XVIII p. 8, et t. XXI, p. 378.