<120> malade; qu'il l'aurait vu en particulier et sans témoins, et qu'il aurait tout arrangé. Il persista néanmoins à lui refuser la sépulture ecclésiastique, et donna seulement son consentement par écrit que M. de Voltaire fût porté ailleurs. Si la profession de foi avait été donnée directement au curé, il se serait sûrement rendu plus facile; il aurait fait trophée de cette déclaration comme d'une victoire par lui remportée sur le patriarche des incrédules; mais comme cette profession avait été donnée à un pauvre galopin de prêtre, l'archevêque et le curé ont mieux aimé dire que cette déclaration était une moquerie que de laisser au galopin l'honneur de la victoire.

M. de Voltaire mourut le même jour, à onze heures du soir, ayant encore proféré quelques mots, mais avec peine, et ayant marqué dans toute sa maladie, autant que son état le lui permettait, beaucoup de tranquillité d'âme, quoiqu'il parût regretter la vie. Je l'avais encore vu la veille de sa mort, et sur quelques mots d'amitié que je lui disais, il me répondit en me serrant la main : « Vous êtes ma consolation. » Son état me fit tant de peine, et il avait tant de difficulté à s'exprimer, même par monosyllabes, que je n'eus pas la force de continuer à voir ce spectacle; l'image de ce grand homme mourant m'affecta si profondément, et m'est restée si vivement dans la tête, qu'elle ne s'en effacera jamais. C'était pour moi l'objet des plus tristes réflexions sur le néant de la vie et de la gloire, et sur le malheur de la condition humaine.

Il fut embaumé vingt-quatre heures après sa mort, mis dans une voiture en robe de chambre, et conduit par l'abbé Mignot et quelques autres parents à l'abbaye de Scellières,a à trente lieues de Paris, dont l'abbé Mignot est titulaire. Il y a été enterré le mardi 2 juin, en très-grande cérémonie, et avec un grand concours de tous les environs. Le prieur de l'abbaye, bon moine bénédictin, qui ne savait rien de


a Le 11 juillet 1791, les restes de Voltaire fuient transportés au Panthéon, qui a été consacré de nouveau à sainte Geneviève le 3 janvier 1853. Voyez t. XXIII, p. 110, 111 et 112.