<118>M. de Voltaire, qui continuait à jouir tous les jours, et au spectacle, et à l'Académie, et dans les rues même, de l'hommage de ses concitoyens, tomba enfin très-sérieusement malade à la fin d'avril, pour avoir pris dans un moment de travail plusieurs tasses de café qui augmentèrent la strangurie, ou difficulté d'uriner, à laquelle il était sujet; pour diminuer ses douleurs, il prit des calmants; mais il doubla et tripla tellement la dose, que l'opium lui monta à la tète, qui depuis ce moment n'a été libre que par petits intervalles. Je le voyais pourtant en cet état; il me reconnaissait toujours, et me disait même quelques mots d'amitié; mais l'instant d'après il retombait dans son accablement, car il était presque toujours assoupi; il ne se réveillait que pour se plaindre, et pour dire qu'il était venu mourir à Varis. L'abbé Mignot son neveu, conseiller au grand conseil, alla trouver le curé de Saint-Sulpice, qui lui dit que puisque M. de Voltaire n'avait pas sa tête, il était inutile qu'il l'allât voir; mais qu'il lui déclarait que si M. de Voltaire ne faisait pas une réparation publique et solennelle, et dans le plus grand détail, du scandale qu'il avait causé, il ne pouvait en conscience l'enterrer en terre sainte. Le neveu eut beau lui répondre que son oncle, dans le moment où il jouissait de toute sa raison, avait fait une profession de foi dont lui curé avait reconnu l'authenticité, qu'il avait toujours désavoué les ouvrages qu'on lui imputait, qu'il avait cependant poussé la docilité pour les ministres de l'Église jusqu'à déclarer que s'il avait causé du scandale, il en demandait pardon; le curé répondit que cela ne suffisait pas, que M. de Voltaire était notoirement connu pour ennemi déclaré de la religion, et qu'il ne pouvait, sans se compromettre avec le clergé et avec M. l'archevêque, lui accorder la sépulture ecclésiastique. L'abbé Mignot le menaça de s'adresser au parlement pour avoir justice, qu'il espérait d'obtenir avec les pièces authentiques qu'il avait en main; le curé, qui se sentait appuyé, lui dit qu'il en était le maître. Tous les amis de M. de Voltaire étaient d'avis que sa famille employât les voies