<102>J'ai eu le malheur de perdre il y a un mois madame Geoffrin,a la seule véritable amie qui me restât; depuis la perte de l'amie avec laquelle je passais toutes mes soirées, j'allais, pour adoucir ma peine, passer les matinées avec madame Geoffrin, dont l'amitié était ma ressource. Je ne sais plus que faire à présent de mes soirées ni de mes matinées, et tout ce qui les occupe n'est que du remplissage. Je demande pardon à V. M. de lui parler encore de moi, et je crains d'abuser de ses bontés.

Quand j'ai eu l'honneur de proposer à V. M. la question importante : S'il peut être utile de tromper le peuple? mon intention n'était pas précisément qu'elle ordonnât à son Académie de traiter ce sujet, mais qu'elle le fît proposer par la classe métaphysique pour sujet du prix; ce qui ne sera possible que pour le sujet prochain, puisqu'il y en a déjà un de proposé, sur lequel malheureusement on ne peut revenir. Puisque V. M. veut bien entrer avec moi dans quelque détail sur cette grande question, je penserais, Sire, sauf votre meilleur avis, qu'il faut distinguer les erreurs transitoires et passagères des erreurs permanentes. Il est hors de doute qu'on peut et qu'on doit peut-être se permettre de laisser au peuple une erreur passagère pour un plus grand bien, ou pour éviter un plus grand mal; et V. M. en apporte des exemples incontestables. Les erreurs permanentes feraient plus de difficultés, et je ne sais s'il ne doit pas y avoir toujours plus d'inconvénient que d'avantage à les entretenir. Mais cet objet demanderait de grandes discussions, et c'est pour cela que je désirerais devoir cette question proposée à tous les philosophes de l'Europe par le plus philosophe des souverains.

V. M. a bien raison de dire que le parlement anglais ne l'est guère, et que sa conduite est celle d'une troupe d'insensés. Nous attendons avec impatience les nouvelles intéressantes de la fin de la campagne, qui, heureusement pour les ennemis de l'Angleterre, et malheureuse-


a Née en 1699.