414. DE VOLTAIRE.

Ferney, 9 mars 1770.

C'en est trop d'avoir tout ce feu
Qui si vivement vous inspire,
Qui luit, qui plaît, et qu'on admire,
Quand les autres en ont trop peu.

Sur les humains trop d'avantages,
Dans vos exploits, dans vos écrits,
Etonnent les grands et les sages,
Qui devant vous sont trop petits.

J'eus trop d'espoir dans ma jeunesse,
Et dans l'âge mûr trop d'ennuis;
Mais dans la vieillesse où je suis,
Hélas! j'ai trop peu de sagesse.

De France on dit que, dans ce temps,
Quelques Muses se sont bannies;
Nous n'avons pas trop de savants;
Nous avons trop peu de génies.

<171>

Vivre et mourir auprès de vous,
C'eût été pour moi trop prétendre;
Et si mon sort est trop peu doux,
C'est à lui que je veux m'en prendre.

Sire, il est clair que vous avez trop de tout, et moi trop peu. Votre Épître à madame de Morrien sur ce sujet est charmante. Il y a plus de trente ans que vous m'étonnez tous les jours. Je conçois bien comment un jeune Parisien oisif peut faire de jolis vers français, quand il n'a rien à faire le matin que sa toilette; mais qu'un roi du Nord, qui gouverne tout seul une vingtaine de provinces, fasse sans peine des vers à la Chaulieu, des vers qui sont à la fois d'un poëte et d'un homme de bonne compagnie, c'est ce qui me passe. Quoi! vous nous battez en Thuringe, et vous faites des vers mieux que nous! C'est là qu'il y a du trop; et vous me causez trop de regrets de ne pas mourir auprès de Votre Majesté héroïque et poétique.