<290> tempéraments différents, il fallut recourir à ce partage, comme à l'unique moyen d'éviter une guerre générale.a Les apparences sont trompeuses, et le public ne juge que par elles. Ce que je vous dis est aussi vrai que la quarante-huitième proposition d'Euclide.b

Vous vous étonnez que l'Empereur et moi ne nous mêlions pas des troubles de l'Orient; c'est au prince Kaunitz de vous répondre pour l'Empereur; il vous révélera les secrets de sa politique. Pour moi, je concours depuis longtemps aux opérations des Russes par les subsides que je leur paye, et vous devez savoir qu'un allié ne fournit pas des troupes et de l'argent en même temps. Je ne suis qu'indirectement engagé dans ces troubles par mon union avec l'impératrice de Russie. Quant à mon personnel, je renonce à la guerre, de crainte d'encourir l'excommunication des philosophes.

J'ai lu l'article Guerre,c et j'ai frémi. Comment un prince dont les troupes sont habillées d'un gros drap bleu, et les chapeaux bordés d'un fil blanc, après les avoir fait tourner à droite et à gauche, peut-il les faire marcher à la gloire sans mériter le titre honorable de chef de brigands, puisqu'il n'est suivi que d'un tas de fainéants que la nécessité oblige à devenir des bourreaux mercenaires pour faire sous lui l'honnête métier de voleurs de grand chemin? Avez-vous oublié que la guerre est un fléau qui, les rassemblant tous, leur ajoute encore tous les crimes possibles? Vous voyez bien que, après avoir lu ces sages maximes, un homme, pour peu qu'il ait sa réputation à cœur, doit éviter les épithètes qu'on ne donne qu'aux plus vils scélérats.

Vous saurez d'ailleurs que l'éloignement de mes frontières de celles


a Voyez t. VI, p. 38-47.

b Que les quarante-huit propositions d'Euclide. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 198.) Voyez t. XVI, p. 362. Dans sa lettre à l'électrice Antonie de Saxe, du 24 mai 1771, Frédéric s'exprime ainsi : « La quarante-septième proposition qu'Euclide a tirée de Pythagore n'est pas plus évidente. »

c Questions sur l'Encyclopédie. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXX, p. 147-154.