197. DE VOLTAIRE.

(Paris, décembre 1742.)



Sire,

J'ai reçu votre lettre aimable,
Et vos vers fins et délicats,
Pour prix de l'énorme fatras
Dont, moi pédant, je vous accable.
C'est ainsi qu'un franc discoureur,
Croyant captiver le suffrage
De quelque esprit supérieur,
En de longs arguments s'engage.
L'homme d'esprit, par un bon mot,
Répond à tout ce verbiage,
Et le discoureur n'est qu'un sot.

Votre Humanité est plus adorable que jamais; il n'y a plus moyen de vous dire toujours Votre Majesté. Cela est bon pour des princes <139>de l'Empire, qui ne voient en vous que le roi; mais moi qui vois l'homme, et qui ai quelquefois de l'enthousiasme, j'oublie, dans mon ivresse, le monarque pour ne songer qu'à cet homme enchanteur.

Dites-moi par quel art sublime
Vous avez pu faire à la fois
Tant de progrès dans l'art des rois,
Et dans l'art charmant de la rime.
Cet art des vers est le premier,
Il faut que le monde l'avoue;
Car, des rois que ce monde loue,
L'un fut prudent, l'autre, guerrier;
Celui-ci, gai, doux et paisible,
Joignit le myrte à l'olivier,
Fut indolent et familier;
Cet autre ne fut que terrible.
J'admire leurs talents divers,
Moi qui compile leur histoire;
Mais aucun d'eux n'obtint la gloire
De faire de si jolis vers.
O mon héros! esprit fertile,
Animé de ce divin feu,
Régner et vaincre n'est qu'un jeu,
Et bien rimer est difficile.
Mais non, cet art noble et charmant
N'est pour vous qu'un délassement.
Homme universel que vous êtes!
Vous saisissez également
La lyre aimable des poëtes,
Et de Mars le foudre assommant
Tout est pour vous amusement,
Vos mains à tout sont toujours prêtes;
Vous rimez non moins aisément
Que vous avez fait vos conquêtes.

Si la reine de Hongrie et le Roi mon seigneur et maître voyaient la lettre de V. M., ils ne pourraient s'empêcher de rire, malgré le mal que vous avez fait à l'une, et le bien que vous n'avez pas fait à l'autre.<140> Votre comparaison d'une coquette, et même de quelque chose de mieux, qui a donné des faveurs un peu cuisantes, et qui se moque de ses galants dans les remèdes, est une chose aussi plaisante qu'en aient dit les César, et les Antoine, et les Octave, vos devanciers, gens à grandes actions et à bons mots. Faites comme vous l'entendrez avec les rois; battez-les, quittez-les, querellez-vous, raccommodez-vous; mais ne soyez jamais inconstant pour les particuliers qui vous adorent.

Vos faveurs étaient dangereuses
Aux rois, qui le méritent bien;
Car tous ces gens-là n'aiment rien,
Et leurs promesses sont trompeuses.
Mais moi, qui ne vous trompe pas,
Et dont l'amour toujours fidèle
Sent tout le prix de vos appas,
Moi, qui vous eusse aimé cruelle,
Je jouirai sans repentir
Des caresses et du plaisir
Que fait votre muse infidèle.

Il pleut ici de mauvais livres et de mauvais vers; mais, comme V. M. ne juge pas de tous nos guerriers par l'aventure de Linz,140-a elle ne juge pas non plus de l'esprit des Français par les Étrennes de la Saint-Jean,140-b ni par les grossièretés de l'abbé Desfontaines.

Il n'y a rien de nouveau parmi nos Sybarites de Paris. Voici le seul trait digne, je crois, d'être conté à V. M. Le cardinal de Fleury, après avoir été assez malade, s'avisa, il y a deux jours, ne sachant que faire, de dire la messe à un petit autel, au milieu d'un jardin où il gelait. M. Amelot et M. de Breteuil arrivèrent, et lui dirent qu'il jouait à se tuer : « Bon, bon, messieurs, dit-il, vous êtes des douillets. »<141> A quatre-vingt-dix ans, quel homme! Sire, vivez autant, dussiez-vous dire la messe à cet âge, et moi la servir. Je suis avec le plus profond respect, etc.


140-a Voyez t. II, p. 117 et suivantes.

140-b Lettre à MM. les auteurs des Etrennes de la Saint-Jean; Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIX, p. 369.