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Si tout était bien assorti
Sur ce ridicule hémisphère,
L'ouvrier, quittant son outil,
Serait amiral ou corsaire,
Le roi peut-être charbonnier,
Le général, un maltôtier,
Le berger, maître de la terre,
L'auteur, un grand foudre de guerre.
Mais rassurons-nous là-dessus,
Chacun conservera sa place;
Le monde va par ses vieux us,
Et jusqu'à la dernière race
On y verra mêmes abus.

A propos de vers, vous me demandez ce que je pense de la tragédie de Crébillon. J'admire l'auteur de Rhadamiste, d'Électre et de Sémiramis, qui sont de toute beauté; et le Catilina de Crébillon me paraît l'Attila de Corneille, avec cette différence que le moderne est bien au-dessus de son prédécesseur pour la fabrique des vers. Il paraît que Crébillon a trop défiguré un trait de l'histoire romaine dont les moindres circonstances sont connues. De tout son sujet, Crébillon ne conserve que le caractère de Catilina. Cicéron, Caton, la république romaine et le fond de la pièce, tout est si fort changé et même avili, que l'on n'y reconnaît rien que les noms. Par cela même Crébillon a manqué d'intéresser ses auditeurs. Catilina y est un fourbe furieux que l'on voudrait voir punir, et la république romaine, un assemblage de fripons pour lesquels on est indifférent. Il fallait peindre Rome grande, et les supports de sa liberté aussi généreux que sages et vertueux; alors le parterre serait devenu citoyen romain, et aurait tremblé avec Cicéron sur les entreprises audacieuses de Catilina. De plus, il n'y a aucun endroit où le projet de la conjuration soit clairement développé; on ignore quel était le véritable dessein de Catilina, et il me semble que sa conduite est celle d'un homme ivre. Vous aurez remarqué encore que les interlocuteurs