<199> me suis exprimé un peu durement dans cet endroit; mais en poésie on ne dit pas toujours précisément ce que l'on voudrait dire; la roue tourne, et emporte son homme par sa rapidité.

Avant de finir sur cette matière, j'aurai l'honneur de dire à V. A. R. que les sociniens, qui nient la prescience de Dieu sur les contingents, ont un grand apôtre qu'ils ne connaissent peut-être pas; c'est Cicéron, dans son livre De la Divination. Ce grand homme aime mieux dépouiller les dieux de la prescience que les hommes de la liberté.

Je ne crois pas que, tout grand orateur qu'il était, il eût pu répondre à vos raisons. Il aurait eu beau faire de longues périodes, ce seraient des sons contre des vérités; laissons-le donc avec ses phrases.a

Mais que V. A. R. me permette de lui dire que les dieux de Cicéron et le Dieu de Newton et de Clarke ne sont pas de la même espèce; c'est le dieu de Cicéron qu'on peut appeler un dieu raisonnant dans les cafés sur les opérations de la campagne prochaine; car qui n'a point de prescience n'a que des conjectures, et qui n'a que des conjectures est sujet à dire autant de pauvretés que le London Journal ou la Gazette de Hollande; mais ce n'est pas là le compte de sir Isaac Newton et de Samuel Clarke, deux têtes aussi philosophiques que Marc Tulle était bavard.

Le docteur Clarke, qui a assez approfondi ces matières, dont Newton n'a parlé qu'en passant, dit, me semble, avec assez de raison, que nous ne pouvons nous élever à la connaissance imparfaite des attributs divins que comme nous élevons un nombre quelconque à l'infini, allant du connu à l'inconnu.

Chaque manière d'apercevoir, bornée et finie dans l'homme, est infinie dans Dieu. L'intelligence d'un homme voit un objet à la fois, et Dieu embrasse tous les objets. Notre âme prévoit, par la connaissance du caractère d'un homme, ce que cet homme fera dans une telle occasion, et Dieu prévoit, par la même connaissance poussée


a Avec ses belles phrases. (Variante de l'édition de Kehl, t. LXIV, p. 242.)