29. A MYLORD MARISCHAL.

Landeshut, 11 mai 1759.

Je ne sais pas, mon cher mylord, si jamais je mangerai des melons de vos graines, mais je sais bien que nous avons eu ici, le 24 de mars, dans les montagnes, deux pieds de neige. Cet endroit fait un poste excellent vis-à-vis de l'ennemi, mais, au demeurant, un séjour très-désagréable. Les opérations de mon frère Henri en Bohême ont été aussi heureuses que l'expédition du prince Ferdinand contre les Français a mal tourné. J'ai donné la chasse aux Autrichiens qui s'étaient aventurés légèrement en Haute-Silésie; mais tout cela n'est point décisif, c'est le prélude d'une tragédie, où quelque malheureux périt toujours. Mon frère entame à présent les cercles; je ne sais pas encore quels seront ses succès. S'il réussit, cela deviendra décisif pour la campagne. J'ai trop d'ennemis; cependant, avec un peu de fortune de notre côté et un peu de sottise du leur, on en peut venir à bout. Mais j'ai perdu tous mes amis, mes proches et mes plus intimes connaissances. A l'âge de cinquante ans, on forme difficilement de nouvelles liaisons, et qu'est-ce que la vie sans les agréments de la société? Vos affaires, mon cher mylord, sont arrangées en Angleterre de la façon que vous l'avez désiré, et l'on ne néglige rien pour vos intérêts; j'en ai encore fait écrire à Knyphausen,312-a à Londres. Le roi d'Espagne, auquel je souhaite d'ailleurs tout bien, fait semblant de mourir, et ne meurt pas; s'il était mort tout de suite, il y a quatre<313> mois, sa mort aurait pu opérer une diversion; à présent, on en a pu prévenir les effets. Je n'ai plus de bonheur, beaucoup de jaloux et d'ennemis; c'est à tout prendre une situation abominable; mais j'y suis une fois, et je m'en tirerai ou j'y périrai. Adieu, mon cher mylord; mangez de bons fruits, et, tandis que vous êtes dans un paradis terrestre, n'oubliez pas vos amis qui sont en purgatoire.


312-a Envoyé de Prusse.