28. DU MÊME.

Vincennes, 5 octobre 1754.



Sire,

Ce n'est que par Votre Majesté que je puis espérer de la fortune et du bonheur, et l'occasion est arrivée où je puis tenir l'un et l'autre<58> de sa bonté et de sa protection. Elle a daigné me le promettre, et j'y mets toute mon espérance.

M. de Séchelles, qui a été nommé contrôleur général des finances, et qui, en cette qualité, est ici le tribunal des grâces solides et pécuniaires, conserve pour V. M. tous les sentiments qu'il a pris à Prague, où il a eu le bonheur d'en être connu personnellement;58-a et je sais qu'il saisira avec empressement l'occasion de faire des choses qui soient agréables à V. M. Elle fera exactement ma fortune, si elle daigne m'accorder une lettre de recommandation pour ce ministre, dans laquelle elle veuille bien l'instruire des bontés particulières dont elle m'honore et de la satisfaction personnelle qu'elle ressentira, si M. de Séchelles veut bien me donner, à sa considération, un intérêt avantageux, soit dans les sous-fermes, soit dans quelques autres affaires de finances.

Cette grâce, Sire, sera victorieuse pour moi, et je devrai à V. M. le bonheur de pouvoir vivre tranquillement et librement partout où je le voudrai, et affranchi de la tyrannie des emplois, qui deviennent toujours difficiles et pénibles quand on a une santé aussi dérangée que la mienne. Je prierai encore très-respectueusement V. M. de prévenir M. le baron de Knyphausen de la protection qu'elle daignera m'accorder en cette occasion, afin qu'il soit autorisé à en demander les effets à M. le contrôleur général; et, dans le cas où V. M. ne crût pas devoir écrire à M. de Séchelles, ce qu'elle a cependant eu la bonté de faire plus d'une fois pendant le temps que j'ai eu l'honneur d'être à son service, j'ose la supplier d'ordonner à M. le baron de Knyphausen de me présenter à ce ministre de sa part, et de lui dire ce que j'ose supplier V. M. de lui écrire, et qu'elle eût la bonté d'en parler au chevalier de La Touche. Mais, Sire, la lettre de V. M. serait d'une tout autre importance pour moi; et c'est parce que cette grâce est plus marquée que j'ose aussi la lui demander avec plus d'instance et<59> plus d'espérance de l'obtenir. Que V. M. me permette de lui rappeler qu'elle a fait, par sa recommandation, la fortune du frère de M. de Maupertuis et de celui de M. de Chasot, qui n'avaient pas le bonheur d'être connus d'elle personnellement, et que, en me comblant de cette grâce, V. M. daigne récompenser un ancien domestique qui lui est toujours dévoué, et des services duquel elle a bien voulu paraître n'être pas mécontente. Cette recommandation, d'ailleurs, ne compromet point V. M., j'ose le lui jurer; il est d'usage que ces intérêts ne s'accordent qu'à la protection la plus puissante.

Comme ces objets de finances se traitent au voyage de Fontainebleau, je désirerais bien être à portée d'y aller présenter la lettre que j'attends de la bonté de V. M. avec la plus respectueuse confiance. Je suis, etc.


58-a Voyez t. II, p. 121-123, t. III, p. 63, et t. XIX, p. 44.