11. A LA MÊME.

Neustadt, 18 novembre 1760.

Je suis exact à vous répondre et empressé à vous satisfaire; vous aurez un déjeuner, ma bonne maman, de six tasses à café bien jolies,<166> bien diaprées, et accompagnées de tous les petits enjolivements qui en relèvent le prix. Quelques pièces que l'on y ajoute en retarderont l'envoi de quelques jours; mais je me flatte que ce délai contribuera à votre satisfaction, en vous procurant un joujou qui, en vous plaisant, vous fera souvenir de votre vieil adorateur.

Il est singulier comme l'âge se rencontre. Depuis quatre ans j'ai renoncé aux soupers, comme incompatibles avec le métier que je suis obligé de faire; et, les jours de marche, mon dîner consiste dans une tasse de chocolat.

Nous avons couru comme des fous, tout enflés de notre victoire, essayer si nous pouvions chasser les Autrichiens de Dresde; ils se sont moqués de nous du haut de leurs montagnes; je suis revenu sur mes pas, comme un petit garçon, me cacher de dépit dans un des plus maudits villages de la Saxe. A présent il faut chasser de Freyberg et de Chemnitz MM. les cercles,166-a pour avoir de quoi vivre et nous placer. C'est, je vous jure, une chienne de vie, que, excepté Don Quichotte, personne n'a menée que moi. Tout ce train, tout ce désordre qui ne finit point, m'a si fort vieilli, que vous aurez peine à me reconnaître. Du côté droit de la tête, les cheveux me sont tout gris; mes dents se cassent et me tombent; j'ai le visage ridé comme les falbalas d'une jupe, le dos voûté comme un archet, et l'esprit triste et abattu comme un moine de la Trappe. Je vous préviens sur tout cela, afin que, en cas que nous nous voyions encore en chair et en os, vous ne vous trouviez pas trop choquée de ma figure. Il ne me reste que le cœur, qui n'est point changé, et qui conservera, autant que je respirerai, les sentiments d'estime et d'une tendre amitié pour ma bonne maman. Adieu.

Federic.


166-a Voyez t. XII, p. 80 et 82.