56. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 24 novembre 1749.



Sire,

Je prends la liberté d'envoyer à Sans-Souci des graines de brocoli qui me sont arrivées d'Italie. Je souhaite, Sire, que, pour l'honneur de mon pays et pour le plaisir de V. M., elles viennent à bien. Mon livre est venu, de son côté, tant bien que mal; j'en suis presque à la fin, à force de corriger tous les jours des épreuves et d'aller à la chasse des points et des virgules, chasse bien ennuyeuse après avoir tué des cerfs et des sangliers. Je suis bien aise, Sire, d'être dehors de cette galère de la littérature, à présent que le temps des plaisirs va commencer. Tout répète, tout se prépare à célébrer les fêtes de Bacchus. La paix se montre aux sujets de V. M. tout aussi gaie et magnifique que la guerre a été redoutable à ses ennemis. Mais V. M., qui, tandis même qu'elle avait les armes à la main, maniait la plume pour faire des dessins dans le goût des plus grands maîtres, et des vers dignes de Voltaire, que fait-elle maintenant, si j'ose le lui demander? Quelque nouvelle Épître, telle qu'Horace l'aurait faite, s'il avait écrit en français, quelque nouvelle comédie, peut-être, que Molière aurait voulu avoir imaginée, s'il avait été à Berlin, seront le fruit de ses heures de loisir. Il y a bien longtemps, Sire, que je n'ai assisté à ces lectures<81> où le roi, le législateur, le conquérant, disparaissent pour faire place au poëte et au bel esprit, qui seuls, dans ces moments-là, absorbaient notre admiration. Elle augmente à l'infini quand les idées de tout ce qu'est V. M. se présentent en foule à notre imagination animée. C'est bien de votre âme, Sire, que l'on doit dire : divinae particulam aurae.81-a


81-a Horace, Satires, liv. II, sat. II, v. 79.