<27>nuer nos chagrins pour les sentir moins, et à multiplier et grossir nos plaisirs afin d'en être plus vivement frappés. Il est certain que rien n'est plus sensible à une âme bien née que de se voir attaquée du côté de la réputation : c'est là le défaut de la cuirasse des grands hommes. Mais je me souviendrai toute ma vie du jugement qu'on a porté de Caton et de Cicéron. « Chez Caton, dit Montesquieu,a la vertu était le principal, et la gloire n'était rien; chez Cicéron, la gloire était le tout, et la vertu n'était que l'accessoire. » Lorsque l'on considère la vertu comme un bien qu'on ne saurait nous enlever, on méprise les projets frivoles des envieux et la puérilité des calomnies. Le digne Voltaire est en droit de les mépriser; son repos est trop précieux pour être troublé par des bagatelles semblables. Qu'il suive le conseil que le Mercureb de Lucien donnait à Jupiter, qui pensait devenir mélancolique des discours impertinents que tenaient les Athéniens sur son sujet. « Contentez-vous, lui disait Mercure, de gouverner le monde, et laissez-les parler. » Que M. de Voltaire se contente d'instruire, de gouverner le monde savant, et qu'il méprise des choses qui lui sont aussi inférieures que le Lycée l'était à l'Olympe. Je regrette beaucoup que, vous sachant plus dans notre voisinage que par le passé, je ne puisse pas contenter le désir que j'ai, madame, de vous admirer et de vous donner en personne des marques de mon estime. Mon étoile ne m'a jamais été trop propice, et je commence à m'accoutumer à ses perfidies. Je lui pardonnerais volontiers toutes les autres infidélités qu'elle m'a faites : mais le tour qu'elle me joue aujourd'hui est des plus sanglants. Pour l'en punir, je prierai quelque astronome de l'exiler au fond des cieux, à quelques millions de lieues plus loin du soleil. La punition serait grande, mais elle n'égalerait pourtant point ce que mérite sa noirceur.


a Considérations sur les couses de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734). chap. XII.

b C'est Momus qui donne ce conseil à Jupiter, dans le Jupiter Tragoedus de Lucien, chap. XLV.