80. DE M. DE SUHM.

Pétersbourg, 15 mai 1739.



Monseigneur

Le capitaine Kalsow part cette nuit; mais je suis hors d'état de profiter de cette occasion aussi amplement que je le désirerais pour témoigner à V. A. R. les respectueux sentiments d'affection et de dévouement qui ne me quitteront qu'avec la vie. Aussi suis-je persuadé que votre amitié voudra bien cette fois prendre la volonté pour le fait.

J'ai cru quitter cette vie ces jours passés, ayant eu une colique des plus terribles, dont il me reste une si grande faiblesse, que je puis à peine tenir la plume. Tout en souffrant, je faisais la réflexion qu'il semblait que ce fût par sympathie que ce mal m'eût pris, V. A. R. en étant aussi attaquée elle-même. Si du moins le ciel, pensais-je, vous en eût exempté à mes dépens, la joie de vous avoir délivré d'une si cruelle douleur par le sacrifice de mon propre bien-être aurait prévalu sur toutes mes souffrances, et je les aurais supportées non seulement avec patience, mais même avec plaisir. Mais, hélas! vous n'en éprouvez aucun soulagement dans vos maux, et le plus cuisant des miens est maintenant dans le sentiment des vôtres. Ah! je souffrais<404> déjà assez de ceux-ci pour mériter d'être exempté de tout autre. Cependant, comme l'effet d'un plus grand mal efface naturellement dans notre âme celui d'un moindre, j'ai aussi trouvé en grande partie dans le sentiment de vos maux l'oubli des miens propres, qui m'auraient assurément été infiniment plus sensibles, si je les eusse éprouvés seuls. Mais je me suis en quelque sorte durci contre eux par la pensée que, si un si digne et si vertueux prince n'était pas exempt lui-même des vives douleurs que j'éprouvais, un pauvre mortel comme moi pouvait bien les souffrir avec patience. Dieu veuille vous préserver à toujours d'un si terrible mal!

J'ai fait ce que j'ai pu, monseigneur, pour vous envoyer quelques beaux hommes. Le capitaine Kalsow amène tout ce qu'il a pu obtenir. Je vous tiens encore prêts quatre hommes que le capitaine a vus; mais comme il m'a témoigné qu'ils lui seraient à charge, j'attends un bas officier de la part de V. A. R., par un vaisseau de Stettin ou de Lübeck, pour les lui faire parvenir. En attendant, je travaillerai à obtenir un jeune Turc de vingt ans, très-bien fait, et qui a plus de onze pouces, appartenant, au prince Pierre de Courlande, et que, en ce cas, je joindrai aux autres. Mais j'écrirai encore là-dessus à V. A. R. par la voie de la poste.

La grande difficulté est ici qu'on ne veut plus donner de Russes. Le capitaine Kalsow en avait assez imprudemment enrôlé un de bon gré, qu'on a repris en chemin, ce qui a pensé donner lieu à une scène, le premier mouvement de l'Impératrice ayant été de faire arrêter le capitaine. Mais le Duc l'a sagement calmée. Dans son embarras, le capitaine voulait me faire croire que c'était pour V. A. R. qu'il l'avait enrôlé; mais je le tançai fort là-dessus, et lui fis sentir qu'il ferait mieux de ne pas compromettre ainsi V. A. R. Il a sagement suivi mon avis.

Le temps presse; il ne me reste que celui de répéter à V. A. R. l'assurance des sentiments inaltérables qu'elle me connaît pour son au<405>guste personne, et le témoignage des vœux ardents que je fais pour le parfait rétablissement de sa précieuse santé, etc.