42. A M. DE SUHM. (no 1.)

Berlin, 1er janvier 1737.



Mon cher Diaphane,

Vous voilà donc en voyage, et sur le chemin de Pétersbourg? Il serait inutile de vous marquer tout ce que j'ai senti en vous voyant partir. Il me semble que chaque lieue que vous faites pour vous éloigner de moi me soit une raison suffisante pour me causer du chagrin. Je m'en console cependant, pouvant vous assurer, d'une manière figurée, de ma parfaite amitié. Voilà comme je commence cette année; et je vous assure que je finirai non seulement celle-ci, mais toutes celles que le ciel m'accordera encore, de même, c'est-à-dire, rempli d'une parfaite estime pour vous.

Si la philosophie m'éclaire, c'est par vous; vous m'avez ouvert la barrière de la vérité, et c'est vous qui en avez été l'organe.

Mon esprit languissait dans une obscure nuit,
Quand le brillant flambeau qui maintenant me luit,
Allumé par vos mains, vint éclairer mon âme.
Je respectai d'abord cette céleste flamme,
Et, descendant du ciel, l'auguste Vérité
Répandit dans mon cœur sa force et sa clarté.

Voilà des vers. Il semble que mon Apollon vienne m'inspirer dès qu'il s'agit de vous. Remarquez par là quelle puissance vous avez sur mes sens et mon imagination. Dès qu'il est question de vous, mes<339> esprits, mis en mouvement, travaillent plus que leurs forces ordinaires ne le leur permettent.

Je m'en remets entièrement à vous touchant la souscription de la nouvelle édition des Batailles du prince Eugène.339-a Je suis sûr que vous me ferez avoir un bon exemplaire sans que j'aie besoin de m'en embarrasser davantage.

Si jamais je puis être le moteur de vos destinées, je vous garantis que je n'aurai d'autre soin que celui de vous rendre la vie aussi agréable qu'il me sera possible. Rendre quelqu'un heureux est une grande satisfaction; mais faire le bonheur d'une personne qui nous est chère, c'est le plus haut point où puisse atteindre la félicité humaine.

Je vous prie de coter les lettres que vous m'écrivez, afin que par là vous puissiez toujours voir à laquelle des vôtres la mienne se rapporte. Celle-ci, que je viens de recevoir, datée du 28, est no 1; je mets le même numéro au haut de la mienne, et ainsi de suite.

Puisse le ciel vous conduire en toute sûreté, afin que vous arriviez heureusement dans un endroit d'où il me tarde de vous voir revenir! Tous mes vœux tendent vers ce but, et je ne serai parfaitement content que quand je vous reverrai ici, à mes côtés, et que je pourrai vous donner des marques évidentes de la véritable estime avec laquelle je suis,



Mon cher Diaphane,

Votre très-fidèlement affectionné ami,
Frederic.


339-a Les mots Batailles du prince Eugène, ainsi que ceux de Vie du prince Eugène qui se trouvent aux pages 341, 343 et suivantes, désignent un emprunt que M. de Suhm s'était chargé de réaliser pour Frédéric.