39. DE M. DE SUHM.

Lübben, 7 décembre 1736.



Monseigneur

J'attendais des consolations de Votre Altesse Royale, j'attendais des encouragements dans les conjonctures où je me trouve, surtout au sujet du parti que j'ai eu la fermeté de prendre; et vous venez le com<333>battre, monseigneur, vous venez soutenir les objections trop spécieuses qu'un penchant déjà si puissant opposait à la voix et aux conseils de ma raison! Quelles armes peut-il me rester, après cela, contre les séductions d'un cœur trop ingénieux à flatter son penchant et à éluder les préceptes de la raison et du devoir, d'un cœur trop sensible et trop faible en même temps pour pouvoir s'amortir ou se vaincre lui-même? Mais non, ce ne peut être sérieusement que vous combattez ma résolution, puisque vous ne pouvez manquer de sentir que le devoir et l'honneur m'en font une loi. C'est donc sans doute une amorce que vous me présentez, afin d'apprendre peut-être si la philosophie sait quelquefois élever celui qui en fait profession jusqu'à être aussi conséquent dans sa conduite qu'il affecte de l'être dans ses raisonnements; c'est un piége, enfin, que vous tendez à ma vertu pour la mettre à l'épreuve. Oh! il suffit de cette pensée pour me rendre la victoire facile. Ne craignez donc rien, monseigneur, je ne me rendrai pas indigne de votre amitié. Le sort en est jeté, je saurai en soutenir toutes les rigueurs; aussi bien suis-je déjà assez endurci contre ses coups.

Quelque douleur que m'ait causée votre gracieuse lettre par les violents combats qu'elle est venue renouveler en moi, je sens que je n'en suis que plus pénétré de la généreuse et touchante bonté avec laquelle vous daignez vous intéresser à mon sort et entrer dans ma situation. Et que vous dirai-je de la charmante Épître qui l'a suivie de si près? Je sens qu'elle est bien au-dessus de mes éloges, et qu'elle m'aurait attendri, même quand je n'aurais pas été l'heureux mortel à qui elle était adressée.

Je viens de me rendre à Lübben, d'où j'espère aller au premier jour me jeter aux pieds de mon auguste ami, et épancher dans son sein tous les sentiments qui font palpiter le mien toutes les fois que je réfléchis aux bontés et aux faveurs inestimables dont il daigne me combler. Je ne suis pas en peine, monseigneur, de vous faire alors<334> approuver les raisons qui m'ont engagé à ne point refuser l'emploi qu'on veut bien me confier; et V. A. R. se persuadera facilement, à ce que j'espère, lorsqu'elle sera instruite de tout, que mon inviolable attachement pour elle y a au fond plus de part qu'elle n'a pu se l'imaginer.

J'ai enfin l'honneur d'envoyer à V. A. R. la fin de la traduction de la Métaphysique de Wolff, si tant est qu'un tel ouvrage, fait en plus grande partie si fort à la hâte, mérite le nom d'une traduction. Elle serait parfaite, si mes forces avaient répondu à mon zèle, car je les y aurais employées toutes, comme je n'en épargnerai jamais aucune, aussi souvent qu'il s'agira de vous prouver, monseigneur, à quelque prix que ce soit, que jamais homme ne pourra plus que moi vous être attaché et dévoué par devoir, par inclination et par reconnaissance, etc.