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9. AU MÊME.

Berlin, 29 janvier 1739.



Mon cher comte,

L'approbation que vous donnez à ma symphonie m'est d'un prix bien flatteur; si j'étais capable de vanité, je crois que j'en prendrais à présent. Être approuvé par des ignorants n'est pas un grand avantage, car, si leurs louanges inspirent de l'orgueil, leur ignorance est comme l'antidote qui rabaisse aussitôt ces premiers sentiments; c'est la lance d'Achille,230-a qui fait le mal et le guérit. Mais s'entendre applaudir par une personne de goût, par un connaisseur, par un ami dont on se persuade qu'il est au-dessus de la flatterie, c'est, mon cher comte, l'épreuve la plus difficile qu'ait à soutenir l'amour-propre. J'espère cependant que vous ne me ferez pas tourner la tête pour cette fois; mais, pour éviter à l'avenir un hasard semblable, je vous prie de vouloir ajouter à vos approbations quelques grains de critique, qui seront comme le contre-poids de vos suffrages, en cas que je les mérite à l'avenir.

Vous allez donc recueillir en Hollande ces fruits que la fortune fait mûrir pour vous si lentement? Je vous souhaite toute la satisfaction imaginable dans l'absence que vous allez faire; en vous abandonnant à la Hollande pour cette année, je me réserve l'espérance pour la suivante, comme Alexandre se la réserva pour la conquête du monde.

Ne vous laites point, je vous prie, une trop grande idée de Remusberg. C'est une retraite, c'est un lieu d'étude, où règne l'amitié et le repos. Tout y est fort simple; nous y fuyons l'extraordinaire et le brillant. Vous y seriez toujours reçu à bras ouverts, en qualité d'homme de mérite et d'esprit, en qualité de frère franc-maçon; et, sous les auspices sacrés de l'amitié, je vous compte comme citoyen<231> d'un endroit que j'ai voué à l'amitié, comme saint Louis son royaume à la Vierge.

Une indisposition m'a empêché de vous répondre plus tôt; n'en soupçonnez point d'autre cause, et faites, je vous prie, un fond certain sur les sentiments d'amitié, d'estime et de considération avec lesquels je suis à jamais,



Mon cher comte,

Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.


230-a Voyez t. VI, p. 81, et ci-dessus, p. 171.