17. AU MÊME.

Berlin, 12 décembre 1737.



Mon cher Camas,

C'est une marque de prudence à un jeune homme de ne pas suivre aveuglément ses inclinations, et de savoir restreindre ses penchants lorsqu'il prévoit que les suites qu'ils attirent après eux pourraient être préjudiciables à quelqu'un. C'est par une semblable prudence que je me suis empêché de vous écrire pendant le séjour que vous avez fait à Wusterhausen. J'ai craint que l'on eût pu augurer mal de notre correspondance; d'ailleurs, il m'a paru que vous seriez assez occupé là-bas par les attentions que vous devez au Roi, par les chasses, par les tabagies, par les dissipations du voisinage, etc., que mes lettres ne feraient que vous dérober le peu de temps qui pourrait vous rester. J'ai su m'imposer le silence, et je jouis actuellement du plaisir de le rompre.

La relation que je pourrais vous faire de ce qui m'est arrivé pendant ces quatre mois ne serait pas fort intéressante, à cause que les événements n'en sont point diversifiés du tout. Vous verriez à chaque page un homme le nez collé sur son livre, ensuite le quittant pour<157> prendre la plume, et celle-là relevée par la traverse. Un tableau si uni ne frappe point la vue, et n'attire aucune admiration; aussi u'excite-t-il point d'envie. Je suis arrivé lundi au soir; j'ai trouvé la Reine fort bien, charmée de vous, se louant beaucoup de Derschau et encore plus du R... Je fus à l'unisson quant au premier; Dieu veuille que je puisse l'être également des autres.

On croit que le Roi viendra lundi pour honorer sa capitale de sa présence. Le temps développera les événements que nous avons à attendre. On assure qu'il viendra comme une divinité bienfaisante, pour répandre partout ses bénignes influences. D'autres soutiennent que ce sera Jupiter foudroyant, armé de tonnerres. Pour moi, j'attends tout avec un flegme admirable, ne prévoyant pas ce que j'ai à craindre, d'autant plus que je me sens net et sans souillure. J'espère de me tirer mieux de cette campagne que Seckendorff, et de regagner le mois prochain mes moutons. Vous savourez à présent le plaisir qu'il y a de jouir en repos d'un chez-soi. Mes compliments à votre aimable moitié; puissiez-vous tous deux jouir de tout le bonheur que je vous souhaite très-sincèrement, étant à jamais,



Mon cher Camas,

Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.