<372> comme les Russes le font! Quand on aurait pu douter de ce qu'on peut faire avec le soldat russe, il n'y a qu'à examiner de sang-froid l'affaire d'Oczakow; on n'a peut-être rien vu de pareil, et le sérasquier arrivé ici, et qui a eu assez de temps pour se remettre, ne saurait encore revenir de son étonnement. Il ne peut pas seulement comprendre comment l'armée a pu passer sans périr par les déserts immenses qu'elle a traversés pour arriver là-bas; et il dit qu'on peut tout attendre de troupes capables de soutenir une telle marche sans succomber à la faim, ou à la soif, ou aux ardeurs du soleil. Jamais, dit-il, l'armée turque n'y passerait.

Le Russe est soldat aussitôt qu'il est armé. On est sûr de le mener à tout, parce que son obéissance est aveugle et sans égale. Avec cela, il se nourrit mal, et de peu. Enfin il semble né exprès pour les grandes expéditions, et, s'il y a encore une armée qui puisse nous donner une idée des troupes anciennes, c'est une armée de Russes.

V. A. R. jugera qu'il ne me convient pas encore d'entrer sur toutes ces choses dans un plus grand détail. Les relations qu'elle vient de lire suffiront pour lui donner d'avance une légère idée d'un pays et d'une nation qu'elle juge dignes de son attention. J'espère lui donner peu à peu dans la suite toutes les lumières qu'elle peut désirer sur ce sujet.

La réflexion que vous faites, monseigneur, sur le bonheur qu'il y a à venir à propos dans le monde est des plus justes, et serait très-propre à consoler le héros dont V. A. R. a une si haute opinion, si à ses qualités guerrières il savait joindre votre philosophie, monseigneur. Pour ce qui est de mon héros, je n'en suis pas en peine. Il aura l'avantage des génies supérieurs, qui est de se rendre, pour ainsi dire, maître des conjonctures, de les faire naître, et de les gouverner à son gré par sa sagesse ou par sa constance, par sa modération ou par sa bravoure, selon les cas et le besoin. J'espère bien, pour le coup, que V. A. R. ne me demandera pas de qui je parle;