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XV. LETTRE DU MARÉCHAL LÉOPOLD COMTE DE DAUN, COMTE DU SAINT-EMPIRE, SEIGNEUR DE CALLENBORN ET SASSENHEIM, PRINCIPE DE TIANO, GÉNÉRAL EN CHEF DES ARMÉES DE LL. MM. II. ET APOSTOLIQUES, CHEVALIER DE LA TOISON D'OR, GRAND-CROIX DE L'ORDRE MILITAIRE DE SAINTE-THÉRÈSE, CONSEILLER PRIVÉ ACTUEL, CHAMBELLAN, COLONEL D'UN RÉGIMENT D'INFANTERIE, COMMANDANT GÉNÉRAL DE L'AUTRICHE, COMMANDANT DE LA RÉSIDENCE DE VIENNE, ET DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ACADÉMIE MILITAIRE DES CADETS, AU PAPE.

Je sens tout le prix des bontés dont Votre Sainteté m'honore. Heureux si, en extirpant les hérétiques, je puis répondre à ses vues et marquer ma reconnaissance! Quand je parus pour la première fois à la tête des armées, je crus qu'il fallait commencer par sanctifier les massacres par des dévotions; je me rendis à Marienzell, et là, en tremblant, j'offris mes adorations à cette sainte Vierge, le soutien de tous ceux qui l'invoquent. Je partis avec cette ardeur et ce courage que donne la piété éclairée, résolu de renverser le chef des protestants, de détruire cette religion perverse qui méconnaît les saints et la Vierge. Je me mis sur une hauteur inaccessible, disposé à tenir ferme, à<137> vaincre ou à mourir. Mais, le dirai-je à Votre Sainteté? je compris par l'événement, qui lui est bien connu, que la protection de notre sainte mère ne suffisait pas, qu'il fallait la bénédiction papale, et je me trouvais un trop grand pécheur pour oser la solliciter; tous les différents cas où j'ai été depuis m'ont convaincu que, sans toque et épée bénites, un général, réduit surtout comme moi à lui-même, sans aide, sans conseil, sans appui, ne pourrait rien, que ses bras seraient toujours faibles et ses coups mal assurés. Si le violent désir d'égaler ou de surpasser le prince Eugène, qui n'avait que peu d'ennemis à combattre, lorsque je dois seul m'opposer à tant de forces réunies, me faisait souhaiter les saints présents que lui avait faits le saint-siége, sans lesquels ce prince n'avait pu rien opérer, et avec quoi il avait fait tout ce qui le rendra à jamais mémorable, quelque connaissance de l'art militaire, quelques vues profondes, quelques desseins bien formés et mieux exécutés, quelques coups hardis, ne me donnaient pas encore le droit d'obtenir cette épée formidable. Votre Sainteté a prévenu mes souhaits et tous ceux de la vraie religion; couvert à présent de cette toque bénite, je vais mettre à l'interdit tous les sectateurs du protestantisme, et comme un torrent qui se précipite du sommet des montagnes et renverse tout ce qui s'oppose à son passage, je déracinerai l'hérésie funeste qui règne sur la chrétienté et en fait les malheurs. Mais pourquoi faut-il que ma joie soit troublée par les inquiétudes de mon armée? On l'a assurée que ce redoutable chef qui veut s'opposer en vain à mes talents et à ma valeur a fait bénir les sabres de ses hussards par l'évêque de Cantorbéry; et ces hussards ignorants, aussi convaincus de l'excellence de cette bénédiction anglicane que je le suis de celle du saint-siége, poussés par le fanatisme, osent en petit nombre venir braver et repousser en mon absence tout un corps de mes troupes effrayées. Que Votre Sainteté daigne, comme je ne puis être partout avec ma toque et mon épée, déclarer que cet évêque de Cantorbéry est aussi hérétique que ces hussards qu'il bénit, que son<138> eau sanctifiante ne suffira pas; ou, si Votre Sainteté le juge à propos, qu'elle me permette de confier un de ces présents au chef de mes braves pandours. Qu'il serait à souhaiter que je pusse être présent dans tous les différents endroits d'où je fais agir mes armées! Si cette présence corporelle était possible à un mortel, s'il pouvait être en même temps sur les hauteurs et dans la plaine, on verrait bientôt qu'un sabre ne l'emporte pas sur une épée, et qu'un évêque ne vaut pas un pape.

Bruxelles, 8 juillet 1759.