<172> effet il y entre beaucoup d'extravagances dans ces usages, qui, parce qu'ils y sont accoutumés, ne leur paraissent plus ridicules. La principale différence qu'il y a entre les esprits des Européens et les nôtres consiste en ce qu'ils se livrent souvent sans réserve à leur imagination, qu'ils prennent pour leur raison, et que ceux qui ont le bonheur d'être nés tes esclaves sont inviolablement attachés aux principes du bon sens et de la sagesse.

LETTRE SIXIÈME.

Le bonze qui m'avait voulu baptiser, et qui m'avait damné la veille, vint me voir. Il avait fait ses réflexions, et je remarquai qu'il avait imaginé quelque nouveau moyen qui ne lui faisait pas renoncer à ma conversion. Il m'engagea à faire connaissance avec un de ces bonnets fendus qui avait présenté le goupillon au grand lama. Je me rendis dans sa maison, où je fus reçu avec ce que les Italiens appellent le puntiglio, qui sont des cérémonies auxquelles nous autres Chinois, nous avons le bonheur de ne rien comprendre. Après plusieurs questions sur mon pays, où j'entrevis plus de dédain et d'ignorance que de politesse et de connaissances, mon mage se mit à disserter sur la grandeur de sa nation; il me conta longuement qu'autrefois ils avaient été les conquérants de l'univers, et qu'à présent, quoique prêtres, ils ne renonçaient pas à gouverner le monde. Je ne pus m'empêcher de lui repartir qu'il faisait bien de me dire que les Italiens avaient été autrefois des conquérants, parce que, en vérité, à présent on aurait peine à s'en douter. Sur quoi il entama un long discours où il prétendit me prouver invinciblement que les grandes actions de ces Romains n'étaient rien, parce qu'ils n'avaient pas eu ce qu'il appelle la grâce; mais qu'eux autres les surpassaient beaucoup,