<140>

XXX. PIÈCES DE VERS COMPOSÉES AU NOM DE M. DE CATT POUR SA FIANCÉE.

I. VERS DE M. DE CATT A SA BELLE.

Charmante et divine Ulerique,
Vous voulez qu'en jargon lyrique
Je vous décrive à ma façon
Le train, l'état et la rubrique
De notre future maison?
La frugalité, la raison,
En régleront le domestique;
Le luxe toujours fantastique
N'est d'usage ni de saison
Chez un Suisse de mon canton.
<141>L'amour, par son pouvoir magique,
Nourrissant l'ardeur de mes feux,
Me fera trouver sans musique,
Sans bal, en un repas modique
Le charme des festins des dieux.
Mon nectar et mon ambroisie
Sera quelque baiser volé,
Brûlant, et cent fois redoublé
Sur votre bouche tant chérie.
Le lieu qui fera le séjour
Des appas que mon cœur adore
Cent fois au-dessus de la cour,
Sera, soit dit sans métaphore,
Le paradis de mon amour.

Bettlern, 18 mai 1762.

II. A ULRIQUE.

Toujours absent de vous, et voulant vous joindre,
Rempli, frappé de vos attraits,
Je comptais les larcins que vos charmes ont faits.
Mon cœur, friponne, était le moindre;
Par un art jusqu'ici nouveau,
<142>Inconnu de toutes nos belles,
Vous avez dépouillé l'Amour de son bandeau,
De son carquois et de ses ailes.

(Seitendorf, le 14 juillet 1762.)

III. A ULRIQUE.

Un indigne intérêt fut l'Apollon d'Horace;
Une douce mollesse enfla le flageolet
Sur lequel soupirait Gresset.
Pour moi, que malgré moi vous placez au Parnasse,
Si ces vers paraissent au jour,
Momus et les neuf Sœurs pourront me faire grâce;
Je ne suis inspiré que par le tendre amour.
Lorsqu'il dicte, j'écris; ces vers sont son ouvrage;
Daignez, chère Ulerique, accepter son hommage.
Mais mon exil, hélas! sera-t-il sans retour?
Heureux qui vous adore et qui vous le peut dire!
Malheureux comme moi qui ne peut que l'écrire!

(Seitendorf, le 14 juillet 1762.)

<143>

IV. VERS A LA BELLE.

Vous voulez que de votre sœur
Je guérisse la maladie.
Hélas! daignez donc par faveur
Prendre aussi quelque part au danger de ma vie,
Et tâchez de guérir mon cœur.
Il souffre; la mélancolie
Le rend sombre, triste et rêveur;
Le nom dont Galien baptise sa langueur
S'appelle le tourment d'une cruelle absence.
Une fièvre d'impatience
De ses malheureux jours rend le fil odieux;
Son sort ou sa convalescence
Ne dépend que de la présence
D'Ulerique et de ses beaux yeux;
Et s'il n'en a quelque espérance,
Il faut vous préparer à d'éternels adieux.
Ses pleurs, son désespoir et sa douleur extrême,
Aiguisant d'Atropos les rigoureux ciseaux,
Vont le précipiter pour jamais au tombeau;
Car tout amant et quiconque aime
Sait que c'est être mort que d'être séparé
Six mois mortels entiers, plus d'un triple degré,
De la moitié de soi-même.

(Camp de Seitendorf, le 18 juillet 1762.)

<144>

A ULRIQUE.

Nul miracle à l'amour ne paraît impossible;
En subjuguant les dieux, il est seul invincible.
Que d'exemples nombreux j'en pourrais étaler!
Hercule, dont le cœur fait pour se signaler
N'était qu'à la gloire accessible,
Amolli pour Omphale, amant tendre et sensible.
A ses pieds apprit à filer.
Le souverain des dieux, dont la foudre terrible
De l'Olympe aux enfers les faisait tous trembler,
Sitôt qu'il se sentit brûler
D'amour et de désirs pour la charmante Europe,
Il déguisa le dieu sous la folle enveloppe
Des animaux qu'a fait parler
La Fable, en empruntant l'esprit qu'avait Ésope.
Si l'amour exerça ce souverain pouvoir,
Il est facile à concevoir
Qu'en influant sur ma planète,
Surtout m'obligeant de vous voir,
De moi, chétif mortel, il ait fait un poëte.
Mais en m'apprenant à rimer,
Par un tour qui me désespère
Il raya du dictionnaire
Des termes assez forts et dignes d'exprimer
Le feu que dans mon cœur vous venez d'allumer.
<145>Hélas! par quel moyen ou par quel stratagème
Pourrais-je donc vous informer,
Ma divine Ulerique, à quel point je vous aime?

(Camp de Dittmannsdorf, le 26 juillet 1762.)

VI. A LA BELLE DES BELLES.

Volez, mes vers, au lieu de moi;
Rendez-vous à Berlin, où je ne puis atteindre,
Porter les gages de ma foi,
D'un amour que la mort ne pourra point éteindre,
A la divinité qui me tient sous sa loi.
Dites à la belle Ulerique
Qu'elle est ma passion unique,
Que cent mille lieues ni le temps
Ne peuvent affaiblir les tendres sentiments
Qu'inspire sa vertu pudique.
Répétez-lui surtout, mes vers,
Que, pour connaître ma constance,
Il n'est, dans ce siècle pervers,
D'épreuve qu'une longue absence.
A cette absence enfin si dure à supporter
Sans doute que je dois le bonheur de ma vie,
<146>Puisqu'elle m'a fait souhaiter
De celle que mon cœur s'efforce à mériter,
Qui règne pour jamais sur mon âme asservie.
Et que n'aurais-je pas sans elle à redouter?
De ce pauvre Gresset146-a et de sa poésie,
De sa sèche monotonie,
En le voyant toujours, on doit se dégoûter;
L'absence est comme une magie,
Sa douce illusion a le don d'enchanter.
Plus je pense et plus je médite,
Plus je lui pardonne mes maux,
Puisqu'elle ajoute à mon mérite,
En diminuant mes défauts.

Dittmannsdorf, 3 août 1762.

VII. RELATION DE CAMPAGNE.146-b

Je vois ici comment on prend des villes
Dont les soldats, pareils à des Achilles,
Mènent grand bruit, en se défendant bien.
Tous ces exploits, en dangers si fertiles,
Très-glorieux, ne me touchent en rien.
<147>J'aimerais mieux le beau secret de prendre
Un jeune cœur enclin à se défendre,
Surtout lui plaire, et par mon entretien
Faire passer un amour des plus tendres
Tout doucement de mon cœur dans le sien.
A mon avis cet art est difficile,
Et je le crois tout au moins plus utile
Que les travaux de messieurs les guerriers,
Couverts de fange et chargés de lauriers.
Quel triste jeu de briser des murailles,
Vieux monuments d'un nombre d'ouvriers,
Loin de livrer de sanglantes batailles
Où l'on ne voit que morts et funérailles!
Que si j'étais auprès de nos foyers,
A l'ombre heureux d'un bosquet d'oliviers,
Je l'avouerai, j'aurais plutôt envie
De m'occuper à procurer la vie,
En retirant des cachots du néant
De l'univers un futur habitant.
S'il se pouvait que celle que j'adore,
Mettant le comble à ma félicité,
De son beau sein quelque jour fît éclore
Ce rejeton de sa fécondité,
Cette action ajouterait encore
A ses vertus, qu'on ne peut trop priser,
En lui donnant, soit dit sans métaphore,
Le vrai moyen de s'immortaliser.
Le dieu d'hymen autorise ces gages;
Le bien de voir croître et multiplier
N'est point celui des cœurs durs et sauvages,
Des Iroquois ou des anthropophages;
<148>Mais ce plaisir est fait pour s'allier
Avec les mœurs que professent les sages,
Et la vertu doit le justifier.
C'est pourquoi Mars, si fier et si terrible,
N'a jamais pu m'engager à sa cour;
Vous le savez, mon cœur tendre et sensible
S'était chez vous enrôlé sans retour
Sous vos drapeaux et sous ceux de l'Amour.
Ce dieu toujours m'a tenu lieu de père;
Dans son école, à Paphos, à Cythère,
Lui-même, un jour, il daigna m'informer :
« Apprends, dit-il, que c'est à l'art de plaire
A précéder l'art de se faire aimer. »
Ses doux travaux, exempts de violence,
Sont des soupirs ou des soins délicats,
De tendres vers dégagés d'embarras;
Ses armes sont l'égard, la complaisance,
Les sentiments d'amour et de constance.
Au lieu d'assauts, d'attaques, de combats,
Nos exploits sont des baisers tout de flamme,
Qui font couler la volupté dans l'âme,
Sans que jamais ils causent le trépas.
Vous le voyez, mon âme est trop humaine
Pour se complaire aux dangers, à la peine
Qu'aux ennemis un guerrier fait souffrir.
Citoyen doux des sources d'Hippocrène,
J'aimerais mieux, si j'avais à choisir,
Passer mes jours près de ma souveraine,
A recevoir et donner du plaisir.
A ce propos, ma divine maîtresse,
Je vous dirai le mot d'un ancien;
<149>Russe n'était, ni même Autrichien :
« Dieu me fit homme, ainsi je m'intéresse
Aux biens, aux maux de toute notre espèce. »

Dittmannsdorf, 6 août 1762.

VIII. RÉPONSE A MA MAITRESSE.149-a

Ah! que je chéris les monarques,
Lorsque vous les faites parler!
S'ils pouvaient tous vous ressembler,
Les cours n'entendraient plus la voix des Aristarques
En vaines plaintes s'exhaler;
La triste vérité, qu'on voudrait exiler,
Publiant toutes ses remarques,
N'aurait rien à dissimuler.
Ces rois auraient le don de plaire
Et l'art plus précieux de régner sur les cœurs,
Par là cent fois supérieurs
A tout monarque sanguinaire
Qui sur une foule vulgaire
Établit sa puissance à force de rigueurs.
Mais votre empire est débonnaire,
Vous m'avez subjugué, mon joug est volontaire,
<150>Et ce serait pour moi le comble des malheurs
Si le sort barbare et contraire
Réussissait à me soustraire
A la douce rigueur de mes fers enchanteurs.
Tandis qu'en tant de lieux des nations d'esclaves,
Malgré tous leurs efforts opprimés par des rois,
Brûlent de briser leurs entraves
Pour se gouverner à leur choix;
Tandis que le peuple de Corse,
Indocile et fougueux, se démène et s'efforce
A rompre les fers des Génois :
Je brigue l'unique avantage
De vous rendre à jamais le plus fidèle hommage.
Votre esprit, votre cœur, votre air, votre beauté,
L'emportent sur ma liberté,
Sur cette liberté, mon unique apanage,
Qui fit des Suisses en tout âge
La suprême félicité.
Idole de mon cœur, vous, l'âme de mon âme,
Vous étouffez en moi l'esprit républicain;
J'abhorrais autrefois le nom de souverain,
Et je l'aime à présent, quand je pense à ma flamme.
Que le grave conseil de nos Bernois me blâme,
Que l'ombre du grand Tell, m'apparaissant soudain.
M'appelle un suppôt de Tarquin,
Vous serez, quoiqu'il me réclame,
Souveraine de mon destin.
Prenez donc désormais les rênes de l'empire
Sous ces auspices fortunés;
Et puisque à vous mon cœur aspire,
Songez que des Brutus, tous héros forcenés,
<151>Détestant devant vous le stoïque délire,
Je serai, j'en fais le serment,
Fidèle et dévoué jusqu'au dernier moment
Au monarque nouveau que mon cœur vient d'élire.

A Péterswaldau, 25 août 1762.

IX. VERS AU CABINET DE MADEMOISELLE ULRIQUE.151-a

Recevez, charmant cabinet,
Ce tas de rimes insensées;
Et, dépositaire secret
De mes amoureuses pensées,
A vos cachettes adressées,
Soyez mon confident discret.
Ah! que je vous porte d'envie!
Vous êtes dans l'appartement
De celle dont si vivement
Mon cœur et mon âme est ravie;
Vous la voyez à chaque instant,
Son beau corps sur vous se replie,
Elle vous touche en écrivant.
<152>Que votre bonheur m'humilie!
Si je suivais ma fantaisie,
Si je pouvais dès ce moment
Paraître en forme travestie,
Je serais, non en Silésie,
Mais, à Berlin incessamment,
Le cabinet de mon amie.
La nuit, quand elle dormirait,
Je lui ferais la sentinelle;
Dès qu'elle se réveillerait,
Je n'aurais des yeux que pour elle.
Si le matin il arrivait
Sur moi, bureau, qu'elle écrivait,
Je baiserais, rempli de zèle,
Cette main si blanche et si belle.
Qu'avec plaisir je soutiendrais
Ce beau sein d'ivoire et d'albâtre!
Qu'amoureusement idolâtre,
La bouche j'en approcherais!
Que, si j'osais, je lui dirais
Tout ce qu'Antoine à Cléopâtre
A dit sur de pareils sujets!
O ciel! quels seraient mes regrets,
Si, trop vite et sans me rien dire,
Elle partait, lasse d'écrire!
Mais au moins en me refermant
Elle toucherait son amant;
Cette faveur sans conséquence
Serait pour moi d'un prix immense.
Au lieu de tout bruit sourd que fait
En se fermant un cabinet,
<153>Je m'écrierais, Catt vous adore!
Et sitôt qu'on me pousserait,
Je le répéterais encore.
J'aurais, et j'en suis convaincu,
L'Amour m'en a fait la promesse,
Plus d'acquis et de gentillesse
Que bureau n'en a jamais eu.
Mais tandis que ma douce ivresse
Dissipe et chasse ma tristesse,
La funeste réalité
De cette image enchanteresse
Découvre la frivolité.
Imagination traîtresse,
C'est en vain que tu m'as flatté;
Je me trouve ici rejeté
Dans un camp, loin de ma maîtresse.
Je le vois, la félicité
N'est pour nous que l'effet d'un songe;
Il vaut donc mieux, tout bien compté,
Être trompé par le mensonge
Qu'éclairé par la vérité.

A Péterswaldau, 9 septembre 1762.

<154>

X. D'UN SUISSE.154-a

A la divinité mère du tendre Amour
J'osais, me recueillant un jour,
Du fond d'une antique chaumière
Adresser humblement ma dévote prière.
Je lui disais tout doucement :
O belle déesse, en qui brille
Tout ce que l'univers a produit de charmant!
Je vous en conjure ardemment,
Daignez protéger votre fille;
C'est votre sang, votre famille,
C'est de l'aimable Cupidon
La compagne et la sœur cadette;
C'est celle qui me fit, dit-on,
En m'embrasant d'amour, subitement poëte,
Dont vous connaissez bien le nom,
Qui rime richement en ique.
Sur elle répandez, versez sur ses destins
Tous les biens que des dieux la faveur magnifique
Peut distribuer aux humains;
Qu'autant qu'elle est charmante et belle,
Elle soit, s'il se peut, aussi tendre et fidèle;
Que ni l'absence ni le temps
Ne puissent altérer, par d'affreux contre-temps,
<155>De nos chastes amours la flamme mutuelle,
Comme votre beauté, digne d'être immortelle.
Qu'elle connaisse bien le cœur
De certain Suisse qui l'adore,
Passant les jours, les nuits à compter chaque aurore
Qui diffère encor son bonheur.
Puissiez-vous, ô Vénus! acceptant mon hommage,
Bénir le beau feu qui l'engage
A former ce nœud solennel!
Et puisse-t-elle enfin, dans cette union sainte,
En n'éprouvant jamais de la lune d'absinthe,
Y trouver la lune de miel!

(Péterswaldau, septembre 1762.)

XI. ÉPITRE A LA BELLE-MÈRE.

Que d'encens, de reconnaissance
Ne dois-je point à tous vos soins,
A vous, qui donnâtes naissance
A l'adorable objet de ma douce espérance!
Ses grâces, ses appas au mérite sont joints;
Et l'on ne sait si l'on préfère
L'éclat touchant de sa beauté
<156>Aux divines vertus qui font son caractère,
Ou bien si son esprit et sa docilité
Ne l'emporteraient pas par leur solidité
Sur cette beauté passagère
Dont vous me voyez enchanté.
L'objet charmant que je révère
Est le chef-d'œuvre de Cythère.
De tant de concurrents pleins de rivalité,
Je suis l'heureux élu que votre humanité
Veut rendre seul dépositaire
De cet inestimable et précieux trésor.
Nouveau Jason, j'emporte enfin la toison d'or;
Mon bonheur est plus grand que celui d'un monarque
Qui végète dans la grandeur.
Je sais aimer, j'ai même un cœur
Aussi sensible que Pétrarque,
Et je devrai, ô mère! uniquement à vous
Le comble de mes vœux et d'un destin si doux.
Mais un certain soupçon m'agite :
Vous vous cachez de moi, vous êtes Amphitrite,
De votre sein naquit Vénus;
Et pour vous encor dire plus,
Ma muse, chez Ovide instruite,
Dans la belle Ulerique en voit les attributs.
Ma conjecture va trop vite;
Ne seriez-vous pas Jupiter,
Qui par la tête, un jour, accoucha de Minerve?
Car votre fille, que j'observe,
En a la sagesse et tout l'air.
Je le vois bien, votre origine
Est toute d'essence divine,
<157>Et d'Anchise et de moi les destins mutuels
Seront de nous unir au sang des immortels.
Dès que l'hymen à votre fille
M'aura donc pour jamais joint à votre famille,
Je vous dresserai des autels.


146-a Surnom que Frédéric donnait par plaisanterie à M. de Catt.

146-b Voyez l'autre leçon de cette pièce qui se trouve dans le t. XII, p. 263-265.

149-a Voyez t. XII, p. 266 et 267.

151-a Voyez t. XII, p. 268-270.

154-a Voyez t. XII, p. 271 et 272.