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III. (b) ODE SUR LES GRACES DONT LE CRÉATEUR NOUS COMBLE, OU L'APOLOGIE DE LA BONTÉ DE DIEU ATTAQUÉ PAR LES FAUX DÉVOTS.

Sublime auteur par qui le monde
Jadis fut tiré du néant,
Dieu, dont la sagesse profonde
En conçut le superbe plan,
Sage arbitre de la nature,
Souffre que dans ma bouche impure
J'exalte partout ta grandeur,
Et qu'en adorant ta puissance,
Je loue avec reconnaissance
La bonté de mon bienfaiteur.

C'est toi dont je tiens mon essence;
Sans toi, dans une obscure nuit,
J'aurais ignoré l'existence
De l'astre brillant qui me luit.
<13>C'est par toi que le grand théâtre
De qui mon cœur est idolâtre
Par mes sens ravis fut connu;
L'univers, ce vaste spectacle,
Que tu créas par un miracle,
Par ta puissance est soutenu.

La droite raison, qui m'éclaire
De tes dons les plus précieux,
De la fange de cette terre
Élève mon esprit aux cieux.
C'est elle qui me fait connaître
Mon Dieu, ce tendre, ce bon maître;
Elle m'enseigne mon devoir,
M'élève au-dessus de la brute,
Et me garantit de la chute
Lorsqu'elle me la fait prévoir.

J'admire partout ton ouvrage,
Ta grandeur, ta bonté, tes soins;
Ce monde est fait pour notre usage,
Il suffit à tous nos besoins.
Tu voulus, me donnant la vie,
Qu'elle fût de tes dons remplie,
Pour qu'en connaissant son auteur,
J'adorasse la main bénigne
Dont les faveurs, la grâce insigne,
Constituent tout mon bonheur.

Palais dorés, beaux édifices,
Superbe appareil des grandeurs,
<14>Nous tenons tout des cieux propices,
Ils nous prodiguent leurs faveurs.
Le luxe, enfant de l'opulence,
Les biens et la magnificence
Furent créés pour nos plaisirs;
La belle dont le teint éclate,
Le vin dont la douceur me flatte,
Sont faits pour combler mes désirs.

Quand même mon âme immortelle
Subirait le sort de son corps,
Et que, n'étant point éternelle,
Elle descendrait chez les morts,
O Dieu! ta clémence infinie
Dans aucun sens ne se dénie,
Je sens tes consolations.
Est-ce un malheur de ne point être?
Tel qui n'est plus ne peut connaître
Les pleurs et les afflictions.

Mais si mon âme, en sa durée,
D'Atropos trompe le ciseau,
Et que sa substance épurée
Survive à l'horreur du tombeau,
Que le futur est plein de charmes!
Je vois des plaisirs sans alarmes;
Dieu, dont je ressens les bontés,
Soulageant ici ma misère,
Me paraît tel qu'un tendre père;
Il fera nos félicités.

<15>Qu'un scolastique atrabilaire,
Peu charitable et tolérant,
Plein d'un faux zèle, sanguinaire,
Dépeigne Dieu comme un tyran;
Et que son esprit imbécile
Du fiel que distille sa bile
Emprunte toutes les couleurs :
Non, ce n'est que son Dieu qu'il adore,
Un Dieu bourreau, Dieu que j'abhorre,
Né d'un cerveau rempli d'erreurs.

Déjà je vois les cieux qui s'ouvrent,
Déjà je vois mon bienfaiteur;
Les voiles épais qui le couvrent
Ne le cachent plus à mon cœur.
La bonté fait son caractère,
Des rayons de sa lumière
Mon esprit est enluminé;
Ce Dieu chérit ses créatures,
Il ne venge point les injures;
Tout péché sera pardonné.

Ce 17 août 1737.

Federic.