<85>Qui ranimez leur haine afin de les détruire,
Redites-moi quel bras, quel salutaire bras
Les sauva malgré vous de l'horreur du trépas.
Ils auraient dû périr en se faisant la guerre,
Ainsi que ces héros enfantés par la terre,
Qui, nés des dents d'un monstre, en avaient la fureur,
Se livraient follement au glaive destructeur.
Sont-ce là les chrétiens dont l'Europe nous vante
La religion douce, aimable et bienfaisante?
Un océan de sang versé par leur fureur
Sur leurs rivaux vaincus éleva leur grandeur;
Souvent l'homme pensant, poursuivi comme athée,
A vu sa liberté par eux persécutée.
Galilée, opprimé par superstition,
Fut mis dans les cachots de l'inquisition;
Il avait démontré la figure du monde,
Son crime était, hélas! sa science profonde;
Et Bayle, poursuivi par un prélat fougueux,10
N'échappa qu'avec peine à ses traits furieux.
Ainsi la liberté, si naturelle à l'homme,
Est maudite à Genève et condamnée à Rome;
Ainsi l'homme, à penser du ciel autorisé,
De l'Église est puni, parce qu'il a pensé.
En Europe et partout, le bon sens à la gêne,
Intimidé, puni, ne respire qu'à peine;
Le scrupule et la peur nous tiennent engagés,
De l'éducation timides préjugés.
La foi, le glaive en main, couvre notre paupière
D'un voile impénétrable aux traits de la lumière;
Et l'ignorance amène, avec l'obscurité,


10 Jurieu.