<355>BARDUS.

Est-il possible de déraisonner à ce point? Ne vous apercevez-vous pas que notre État et le monde en général n'est si mal gouverné que parce que tous ceux qui se mêlent de politique sont des ignorants qui ne savent ni Euclide, ni l'algèbre, et qui n'ont étudié ni le principe de contradiction, ni le corollaire de la raison suffisante?

ARGAN.

Mon cher Bardus, votre grande science vous fait extravaguer. Y pensez-vous bien? gouverner l'État par l'algèbre! Nous demandons à ceux qui doivent nous conduire de la prudence, de la sagesse, de la pénétration et surtout de l'équité; que le souverain et ceux qui le conseillent, ayant un sincère attachement à la patrie, connaissent ses maux, en y remédiant; que, fuyant également l'ambition et la faiblesse, ils maintiennent les peuples en paix, sans souffrir que la témérité des voisins avilisse la majesté de l'État; que, renonçant à toute partialité, ils récompensent la vertu et punissent le vice sans égard à la personne; et qu'enfin leur bonté soit toujours une dernière ressource pour ces malheureux que la nature et la fortune semblent persécuter à la fois. Faut-il de l'algèbre pour gouverner ou pour conseiller de la sorte?

BARDUS.

Oui, il en faut; car les équations algébriques sont les seuls chemins qui nous font voyager au pays de la vérité, où les conséquences nous servent de stations pour nous conduire. Elles rendent l'esprit exact, et empêchent ceux qui connaissent cette science toute divine de ne jamais s'égarer. Vous feriez bien de mettre aussi votre fille à l'algèbre.

ARGAN.

Vous désirez que je destine Julie au jeune Bilvesée; mais je ne vois pas qu'ils aient besoin d'algèbre pour engendrer.