<294>Eugène.

Mon avis serait de leur donner à gouverner une province qui méritât d'être châtiée; ils apprendraient par leur expérience, après qu'ils y auraient tout mis sens dessus dessous, qu'ils sont des ignorants, que la critique est aisée, mais l'art difficile,a et surtout qu'on s'expose à dire force sottises quand on se mêle de parler de ce qu'on n'entend pas.

Lichtenstein.

Des présomptueux n'avouent jamais qu'ils ont tort. Selon leurs principes, le sage ne se trompe jamais, il est le seul éclairé. De lui doit émaner la lumière qui dissipe les sombres vapeurs dans lesquelles croupit le vulgaire imbécile et aveugle. Aussi Dieu sait comment ils l'éclairent : tantôt c'est en lui découvrant l'origine des préjugés,b tantôt c'est un livre sur l'esprit,b tantôt le système de la nature;b cela ne finit point. Un tas de polissons, soit par air ou par mode, se comptent parmi leurs disciples; ils affectent de les copier, et s'érigent en sous-précepteurs du genre humain; et comme il est plus facile de dire des injures que d'alléguer des raisons, le ton de leurs élèves est de se déchaîner indécemment en toute occasion contre les militaires.

Eugène.

Un fat trouve toujours un plus fat qui l'admire.c Mais les militaires souffrent-ils ces injures tranquillement?

Lichtenstein.

Ils laissent aboyer ces roquets, et continuent leur chemin.


a Voyez t. X, p. 246.

b Voyez t. IX, Avertissement de l'Éditeur, nos XI et XII.
     Le livre de l'Esprit, par Helvétius, avait paru en 1758.

c Voyez t. X, p. 157.