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AU MARQUIS D'ARGENS, SUR L'ÉDITION QU'IL ENVOYA AU ROI DES POÉSIES DE SANS-SOUCI.

Grand merci, marquis, de mon drame,
Que, malgré Néaulme et sa femme,
Vous vous pressez de publier;
Et si la calomnie infâme
Se complaît à me décrier,
Si chez le Russe on me diffame,
Voss pourra me justifier.157-a
Croyez que moi tout le premier,
En père courroucé je blâme
Ces vers, qui me font sommeiller;
Le curieux qui les réclame
Pestera dans le fond de l'âme
Du prix qu'il en faudra payer.
J'entends des censeurs aboyer,
Et d'une mordante épigramme
<158>Cruellement m'humilier.
Ah! ma disgracieuse veine,
Voilà comme ils payent la peine
Que tu pris de les ennuyer.
Un rimeur qui semble avoir l'asthme,
Et ployant toujours sous le faix,
Sans vigueur, sans enthousiasme,
Glacé dans ses plus forts accès,
Expire aux cris de l'ironie,
Et le public, qui le dénie,
Enterre son nom pour jamais.
A son convoi, sous des cyprès,
Des brocards la cacophonie
Vient se joindre à la compagnie
Des trop tardifs et vains regrets.
Alors ses malheureux ouvrages,
Étalés au coin des marchés,
Ont à souffrir tous les outrages
A ceux de Pradon158-a reprochés.
Élevez donc un cénotaphe
A mes écrits infortunés,
Véridique historiographe.
Tracez-y ces mots mieux tournés
Qu'ils ne sont dans cette épitaphe :
« Ci-gisent, d'Argens le parafe,
Ces vers, morts le jour qu'ils sont nés. »

(Freyberg, 30 mars 1760.)


157-a La contrefaçon des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci divulgua les invectives contre la Russie que contenait l'édition originale, destinée aux seuls amis du Roi. L'édition qu'il en avait préparée pour le public devait être imprimée par le libraire Néaulme, à Berlin; mais comme celui-ci tardait à la publier, elle parut chez Voss. Les vers satiriques y sont supprimés. Voyez t. X, p. 11, et p. 35, 169, 179, etc.

158-a Auteur oublié d'une tragédie de Phèdre et Hippolyte, représentée pour la première fois en 1677, et que la cabale opposa quelque temps avec succès à la Phèdre de Racine. Voyez t. IX, p. 78.