<231>Je sais qu'aux animaux l'homme est supérieur,
L'ange est plus inconnu; mais je serais d'humeur
De laisser à Milton les anges et les diables,
Pour ce bizarre auteur sujets inépuisables.
On me répète encor que l'homme limité
Ne peut concevoir Dieu ni son immensité;
D'un point dans l'univers, dont il a quelque indice,
Il juge en souverain de ce vaste édifice;
Ce qu'il critique enfin, et qu'il appelle un mal,
Est admirable et bien conçu dans le total.
Je n'escalade point des lieux inaccessibles,
Le crime et la douleur sont des objets sensibles;
Je sais que mon esprit est très-faible et borné,
En suis-je moins à plaindre et moins infortuné?
Le vice est mon tyran, mes vertus sont restreintes;
Quel cœur assez cruel peut condamner mes plaintes?
La douleur me pénètre, en déchirant mon corps,
Le chagrin de l'esprit use enfin les ressorts,
L'avenir me prédit des maux d'une autre espèce,
Dont la caducité menace ma vieillesse;
De périls renaissants, de maux environné,
Je suis dans des tourments à vivre condamné.
Ah! quel mortel voudrait, dans la nature entière,
Renaître et parcourir de nouveau sa carrière?
Voilà la vérité. Mais un docteur d'Oxford,
M'anathématisant, vous dira que j'ai tort,
Qu'il sait tout, et qu'il peut, aidé de sa science,
D'un roi pyrrhonien accabler l'ignorance;
Il croit qu'en ce séjour on nous veut éprouver,
Que nous portons la croix afin de nous sauver,
Que l'âme au désespoir, contrite, infortunée,