<204>Et puisqu'enfin l'Europe est stérile en vertu,
Puisque dans mes revers en vain je vous implore,
Puisque votre tendresse en regrets s'évapore,
En dédaignant l'effet de vos secours douteux,
Je fonde désormais mon espoir et mes vœux
Sur l'Orient, rempli d'enfants de la victoire,
Réservoir de héros, d'esprits nés pour la gloire.
J'y découvre de loin un peuple plein d'honneur,
Ami de l'oppressé, fléau de l'oppresseur;
Votre infidélité, ce détestable crime,
N'a jamais pénétré dans les murs de Solime.13
Voyez vers l'Hellespont ces puissants armements;
Ces guerriers vont voler et remplir leurs serments.
Qu'importe à ma raison et le rite et le culte
D'un ami généreux qui venge mon insulte?
Qu'on l'apprenne, en dépit de tous mes envieux :
Qui daigne m'assister est chrétien à mes yeux,
Et cent fois plus chrétien qu'un ennemi barbare,
De trésors et d'États usurpateur avare.
De la religion et l'esprit et la loi
Consiste dans les mœurs, et non pas dans la foi;
Celui qui veut ma perte est le seul infidèle.
Ah! laissons tonner Rome et frémir le faux zèle;
Qu'importe qu'un docteur imbécile, indiscret,
Maudisse absurdement Platon ou Mahomet?
Jadis le fanatisme, en allumant la guerre,
Pour de vains arguments a saccagé la terre;
De nos jours ce prétexte, aux regards pénétrants,
N'est plus qu'un masque usé des fureurs des tyrans.


13 On espérait le secours des Turcs, ils avaient fait avancer des troupes à Belgrad : mais la mort de l'impératrice de Russie rendit vaines ces démonstrations.