<143>C'est qu'il sent ne pouvoir résister au malheur.
Non, non, sage marquis, quand même notre course
Nous offrirait encor d'autres calamités,
Contre les traits cruels des destins irrités
Cherchons dans la vertu notre unique ressource;
Opposons la raison à nos sens révoltés
Contre une âpre et longue souffrance;
Une inébranlable constance
Triomphera du sort et des adversités.
Un homme courageux dont le mâle génie
S'élance hardiment par un sublime effort
Des fanges de la terre au palais d'Uranie,
Des hautes régions de la philosophie
Jette un coup d'œil égal sur la vie et la mort;
Son âme, inaltérable aux secousses du sort,
Contemple le néant du monde,
La vanité, l'orgueil, l'erreur dont il abonde,
Et voit que tout commence et que tout doit finir.
Ainsi, lorsque l'orage gronde,
Le sage dans son cœur garde une paix profonde,
Et, sans s'inquiéter d'un funeste avenir,
Il l'attend sans le prévenir.
Il s'arme contre l'infortune,
Quel qu'en soit le décret cruel,
Puisque, sans se soustraire à cette loi commune,
Mortel, il doit subir le destin d'un mortel.a

A Pretzschendorf, le 5 janvier 1760.


a Racine dit dans

Phèdre

, acte IV, scène 6 :

Mortelle, subissez, le sort d'une mortelle.