<254>Depuis que le trépas redoutable aux humains
D'Auguste et de Virgile eut tranché les destins,
Lasse de ces combats que l'histoire nous vante,
Aux exploits du héros mon âme indifférente
N'y voit que des hauts faits qu'ont produits tous les temps;
Mais Virgile me charme, et plaira dans mille ans :
Il m'émeut lorsqu'il peint la malheureuse Troie
Au fer des Grecs vengeurs, à leurs flammes en proie;
Il touche par l'amour de la triste Didon,
Du bûcher funéraire allumant le brandon;
Quel feu, quand sur le Styx il fait voguer Énée!
Il me guide aux enfers, j'y vois la destinée
Des descendants d'Anchise et du peuple romain;
J'évoque avec Virgile un nouveau genre humain,
Du Gange aux bords des mers où le soleil expire,
Je vois l'heureux Octave étendant son empire.
Des enfants d'Apollon, héros, soyez jaloux :
César fit tout pour lui, Virgile tout pour nous.a
Mais du pouvoir des rois connaissons l'origine.
Pensez-vous qu'élevés par une main divine,
Leur peuple, leur État leur ait été commis
Comme un troupeau stupide à leurs ordres soumis?
Les crimes effrontés, l'artifice des traîtres,
Forcèrent les humains à se donner des maîtres;
Thémis arma leur bras de son glaive vengeur,
Pour inspirer au vice une utile frayeur;
D'autres, en usurpant un bien illégitime,
Devinrent souverains en prodiguant le crime,
Et passent pour héros chez les ambitieux.
Notre origine est pure, elle nous vient des cieux;


a Pour vous. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 341.)