<197>On verrait à la fin les malheureux mortels
Pour satisfaire un goût ensanglanter la terre,
Et le plaisir ferait le sujet de la guerre.
Pensez-vous donc qu'il faut aux hommes fainéants
Des plaisirs merveilleux pour chatouiller leurs sens?
Que, manquant de spectacle ou de feux d'artifice,
Ils ont droit d'accuser le destin d'injustice?
La nature attentive en tout temps a voulu
Suffire à nos besoins et même au superflu :
Elle transforme au sein des misères humaines
En désirs les besoins, en voluptés les peines;
C'est d'elle que nous vient le charme de l'amour,
Aussi doux pour Colin que pour l'homme de cour;
C'est d'elle que nous vient le sommeil délectable,
Secours voluptueux, au corps si favorable;
Dans une ardente soif trouvez un clair ruisseau,
C'est boire du nectar que d'avaler son eau;
Quand le Lion brûlant nous fait rechercher l'ombre,
Quel bien de respirer l'air frais dans un bois sombre,
Sur le duvet des prés couché nonchalamment,
De laisser son esprit errer tranquillement!
Mais enfin quel spectacle approche de l'aurore?
La nuit fuit, et bientôt un beau pourpre colore
Un tiers de l'horizon aux bords de l'orient;
On voit pâlir les feux du vaste firmament,
Le brouillard se dissipe, et du haut des montagnes
Quelques faibles rayons vont dorer les campagnes :
Zéphyre en voltigeant vient agiter les fleurs,
Un instinct de plaisir s'empare de nos cœurs,
Le monde est renaissant, l'astre de la lumière
Remplit de son éclat sa brillante carrière,