<157>J'ai vu, discret témoin de leurs propos moqueurs,
Le mérite modeste attaqué sans scrupule,
La folie en crédit, le bon sens ridicule.
Quand, pour les intérêts du Kan son souverain.
Mustapha d'Oczakoff se rendit à Berlin,
Sa barbe, son caftan excitèrent à rire;
Le courtisan moqueur, enclin à la satire,
Rempli de préjugés contre les Musulmans,
Épiloguait leurs mœurs et leurs ajustements;
Les plus polis disaient : Peut-on être Tartare?
Pas un d'eux ne savait que ce peuple barbare,
Quoique de nos habits les siens soient différents,
Avait conquis la Chine et soumis les Persans.
Mais la réflexion les effraye et les gêne,
L'esprit d'un mot plaisant peut accoucher sans peine;
Affectons cet air haut et ce ton suffisant
Dont l'idiot public respecte l'ascendant,
Et nous subjuguerons notre absurde auditoire :
Un sot trouve toujours un plus sot pour le croire;a
Une voix imposante, un maintien effronté,
Sont de forts arguments pour le peuple hébété.
Dès qu'un livre nouveau s'étale chez Néaulme,b
Nos beaux esprits manques, sur le titre du tome,
Jugent sévèrement l'ouvrage et son auteur;
Tout quartier de Berlin a certain connaisseur
Qui sur ces nouveautés raisonne, dogmatise,
Du vulgaire à son gré gouverne la bêtise.


a

Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

Boileau,

L'Art poétique

, dernier vers.

b Libraire de Berlin. Voyez t. I, p. xxxv.