<132>Citoyens malheureux! ô ma chère patrie!
De votre triste sort mon âme est attendrie.
Le trépas n'épargnait le peuple ni les grands,
Et le royaume en deuil déplorait ses enfants.
Du mal contagieux l'attaque était subite,
De ceux qu'il atteignait la vie était proscrite;
Une chaleur ardente à l'instant les brûlait,
L'haleine leur manquait, la soif les accablait,
Ils buvaient, mais hélas! nos fleuves, dans leurs courses,
Sans éteindre leur soif, auraient tari leurs sources;
Pareils à la fournaise où l'on verse de l'eau,
Leurs entrailles sentaient accroître un feu nouveau,
Leurs yeux étincelaient, leur gorge était aride,
Leur langue desséchée et leur couleur livide.
L'un vers l'autre en tremblant ils étendaient les bras,
Ils portaient sur leur front l'arrêt de leur trépas;
Ces cadavres vivants, dans des douleurs affreuses,
Sentaient couvrir leurs corps de taches venimeuses,
De ces charbons crevés sortait un poison noir,
Ils mouraient dans les cris et dans le désespoir.
O temps infortunés! ô temps vraiment funestes!
Il n'était plus alors de Nisus ni d'Orestes,
Les nœuds de l'amitié, ceux de la parenté,
Rien ne pouvait lier le peuple épouvanté.
Faut-il le rapporter? ô comble de nos crimes!
On fuyait lâchement ces plaintives victimes
Qui sentaient les fureurs de la contagion;
On les laissait mourir sans consolation.
La faim à tant de maux vint joindre sa souffrance,
Alors de tous les cœurs disparut l'espérance.