<129>Coulent par le gagnage à travers ses vallons;
Il accuse les dieux; connaît-il leurs raisons?
Ce marais desséché qui forme sa prairie
A l'utile ruisseau doit son herbe fleurie,
Et ses eaux, serpentant par des détours divers,
Par les bouches d'un fleuve enrichissent les mers.
Tels sont nos préjugés. L'homme, d'un regard louche,
Voit et sent vivement le malheur qui le touche,
Mais il n'aperçoit point dans la totalité
Le bien que son mal fait à la société.
Atome imperceptible, insecte qui murmure,
De quel tort te plains-tu? que te doit la nature?
T'avait-elle promis de troubler l'univers
Pour t'épargner des soins, des peines, des revers?
Étouffe ton orgueil qui te rend misérable,
Et souviens-toi toujours du ciron de la fable.9
Dans l'ordre général par le ciel arrêté,
Un homme, un État même est à peine compté;
Un empire n'est rien, il disparaît dans l'ombre
De ce vaste univers, de ces mondes sans nombre
Qui nagent dans le vide autour de leurs soleils,
Supérieurs au nôtre ou du moins ses pareils.
Des plus puissants États examinons l'histoire.
J'y vois de grands revers à côté de leur gloire :
La Grèce, jadis libre, esclave des Romains;
La maîtresse des mers et des champs africains,
Par Scipion conquise, abattue et rasée;


9 Le Ciron et le Bœuf de La Fontaine. [Cette note est omise dans l'édition de 1760, peut-être parce qu'il n'y a aucune fable dans La Fontaine qui porte ce titre. Il est probable que le Roi a voulu parler du Moucheron et le Bœuf de Phèdre. Voyez t. IX, p. 55.]