<135> lieu d'un pays abondant en subsistances, et un prince fugitif qui venait chercher un asile dans son camp, au lieu d'un allié puissant qui lui amenât des secours.

Ces contre-temps ne rebutèrent point Charles XII : il assiégea Poltawa, comme s'il n'eût manqué de rien; lui, qui avait été invulnérable jusqu'alors, fut blessé à la jambe, en s'amusant à reconnaître cette bicoque de trop près; son général Lewenhaupt, qui lui amenait des vivres, des munitions et un secours de treize mille hommes, fut battu par le Czar à trois reprises, et obligé, dans cette nécessité, de brûler les convois qu'il conduisait; il n'arriva au camp du Roi qu'avec trois mille hommes de troupes, exténués de fatigues, et qui augmentèrent dans le camp la disette qui y régnait.

Le Czar s'approcha bientôt de Poltawa; et dans cette plaine se donna cette bataille si célèbre, entre les deux hommes les plus singuliers de leur siècle. Charles XII, qui jusqu'alors, comme l'arbitre des destins, n'avait rien trouvé qui arrêtât ses volontés, fit tout ce qu'on pouvait attendre d'un prince blessé et porté sur des brancards. Pierre Alexeiwitsch, qui n'avait été que législateur jusqu'alors, assisté de Menschikoff, marqua dans cette journée qu'il possédait les parties d'un grand capitaine, et que ses ennemis lui avaient appris à vaincre. Tout était fatal aux Suédois : la blessure de leur roi qui l'empêchait d'agir, la misère qui leur ôtait les forces pour combattre, un corps détaché qui s'égara le jour de cette bataille décisive, le nombre de leurs ennemis, et le temps qu'ils avaient eu d'élever des redoutes et de disposer avantageusement leurs troupes; enfin les Suédois furent battus, et perdirent, par un instant décisif et malheureux, le fruit de neuf années de travaux et de tant de prodiges de valeur. Charles XII fut réduit à chercher un asile chez les Turcs : ses haines implacables le suivirent à Bender, d'où il essaya vainement par ses intrigues de soulever la Porte contre les Moscovites; il devint ainsi la victime de son inflexibilité d'esprit, qu'on aurait appelée opiniâtreté, s'il n'eut