CHAPITRE IV.
Campagne de 1756.
Marche en Saxe; fameux camp de Pirna; entrée en Bohême; bataille de Lowositz; campagne du maréchal Schwerin; secours de Schandau battu; prise des Saxons; quartiers d'hiver; cordon.
C'était un préalable en commençant cette guerre d'ôter aux Saxons le moyen de s'en mêler et de nuire aux Prussiens. Pour porter la guerre en Bohême, il fallait traverser cet électorat : si l'on ne s'en rendait pas maître, on laissait un ennemi derrière soi, qui en ôtant la libre navigation de l'Elbe aux Prussiens, les obligeait à quitter la Bohême aussitôt que le roi de Pologne le voudrait. Les Saxons en avaient usé ainsi dans la guerre de 1744, où en interdisant cette navigation aux troupes du Roi, ils rendirent son expédition infructueuse. On ne se fondait pas sur des conjectures vagues pour leur supposer le même dessein : on avait en main les preuves de leur mauvaise volonté; ainsi ç'aurait été commettre une faute irrémissible en politique, que de ménager par faiblesse un prince allié de l'Autriche, qui n'attendait à se déclarer ouvertement pour elle que le moment où il pourrait le faire impunément. De plus, comme le Roi prévoyait que la plus grande partie de l'Europe se préparait à l'attaquer, il ne pouvait pas autrement couvrir la Marche électorale de Brandebourg<93> qu'en s'emparant de la Saxe, où il valait mieux établir le théâtre de la guerre qu'aux environs de Berlin. Il fut donc résolu qu'on porterait la guerre en Saxe, qu'on s'assurerait de l'Elbe, et qu'on tâcherait, pour peu que l'occasion s'en présentât favorable, de désarmer les troupes saxonnes.
Au mouvement que quelques régiments firent pour se rendre en Poméranie,93-a les troupes saxonnes prirent position entre l'Elbe et la Mulde; elles entrèrent peu après dans leurs quartiers ordinaires, et bientôt elles se rassemblèrent de nouveau en cantonnements. Toutes ces marches et contre-marches ne donnèrent point le change : le Roi savait positivement que le dessein de la cour était d'assembler l'armée au camp de Pirna, où les Saxons, occupant une position inattaquable, croyaient pouvoir attendre en sûreté les secours que les Autrichiens leur avaient fait espérer, et d'où ils se flattaient d'amuser les Prussiens par de frivoles négociations; de sorte que, sans réfléchir aux différentes marches de ces troupes, on s'en tint au projet de se porter incessamment avec l'armée au débouché de la Bohème.
Le Roi divisa son armée en trois corps : la marche de ces trois colonnes se dirigea sur Pirna, qui fut le centre de leur réunion commune. La première partit de Magdebourg aux ordres du prince Ferdinand de Brunswic; elle prit le chemin de Leipzig et passa par Borna, Chemnitz, Freyberg et Dippoldiswalda, pour se rendre à Cotta. La seconde colonne, où se trouvait le Roi, marcha sur Pretzsch, tandis que le prince Maurice de Dessau se rendit maître de Wittenberg; après quoi ce détachement, réuni au reste du corps, passa l'Elbe à Torgau, d'où le Roi se porta par Strehlen et Lommatzsch à Wilsdruf. Ce fut là qu'on apprit avec certitude que toutes les troupes saxonnes s'étaient rendues à Pirna, que le Roi y était en personne, qu'il n'y avait point de garnison à Dresde, mais que la Reine y était demeurée.<94> Le Roi fit complimenter la reine de Pologne, et les troupes prussiennes entrèrent dans cette capitale, en observant une si exacte discipline, que personne n'eut à s'en plaindre. L'armée campa près de Dresde, d'où elle s'avança le lendemain vers Pirna, et se posta entre l'Elbe, Sedlitz94-a et Zehista. La troisième colonne, sous le commandement du prince de Bevern,94-b traversa la Lusace, où ayant été jointe à Elsterwerda par vingt-cinq escadrons de cuirassiers et de hussards venant de la Silésie, elle se porta sur Bautzen, sur Stolpen, et enfin sur Lohmen. Le prince Ferdinand arriva en même temps à Cotta, de sorte que, par la jonction de ces trois colonnes aux environs de Pirna, les troupes saxonnes se trouvèrent entièrement bloquées. Cependant le voisinage de tant d'armées ne donna lieu à aucun incident : on ne commit aucune hostilité; les Saxons souffrirent avec beaucoup de civilité qu'on les affamât, et chacun de son côté tâcha d'assurer son établissement le mieux qu'il put. Le roi de Pologne, dans l'intention de gagner du temps, entama une négociation :94-c il était plus aisé pour les Saxons décrire que de se battre; ils firent à plusieurs reprises des propositions qui, n'ayant rien de solide, furent rejetées. Leur but était d'obtenir une parfaite neutralité; c'était à quoi le Roi ne pouvait pas donner les mains, parce que les engagements du roi de Pologne avec la cour de Vienne, la Russie et la France lui étaient trop bien connus.
Les Saxons faisaient alors retentir toute l'Europe de leurs cris; ils répandaient les bruits les plus injurieux aux Prussiens sur leur invasion dans cet électorat : il était nécessaire de désabuser le public de<95> toutes ces calomnies, qui n'étant point réfutées, s'accréditaient, et remplissaient le monde de préjugés contre la conduite du Roi. Depuis longtemps le Roi possédait la copie des traités du roi de Pologne et des relations de ses ministres aux cours étrangères. Quoique ces pièces justifiassent pleinement les entreprises de la Prusse, on ne pouvait en tirer parti : si on les eût publiées, les Saxons les auraient taxées de pièces supposées et forgées à plaisir pour autoriser une conduite audacieuse qu'on ne pouvait soutenir que par des mensonges; cela obligea d'avoir recours aux pièces originales, qui se trouvaient encore dans les archives de Dresde. Le Roi donna des ordres pour qu'on les saisît; elles étaient toutes emballées et prêtes à être envoyées en Pologne : la Reine, qui en fut informée, voulut s'y opposer; on eut bien de la peine à lui faire comprendre qu'elle ferait mieux de céder par complaisance pour le roi de Prusse, et de ne point se roidir contre une entreprise qui, quoique moins mesurée qu'on le voudrait, était cependant la suite d'une nécessité absolue. Le premier usage qu'on fit de ces archives fut d'en donner l'extrait connu du public sous le titre de Pièces justificatives.95-a
Pendant que cette scène se passait au château de Dresde, les troupes prussiennes et saxonnes demeuraient dans l'inaction, le roi de Pologne s'amusant avec l'espérance des secours autrichiens qui devaient lui venir, et le roi de Prusse ne pouvant rien entreprendre contre un terrain vis-à-vis duquel le nombre des troupes et la valeur devenaient inutiles. Il ne sera pas hors de propos, pour l'intelligence des événements que nous aurons à rapporter dans la suite, que nous entrions<96> dans un détail circonstancié sur le fameux camp de Pirna, et de la position que les troupes saxonnes y occupaient. La nature s'était complu, dans ce terrain bizarre, à former une espèce de forteresse à laquelle l'art n'avait que peu ou rien à ajouter. A l'orient de cette position coule l'Elbe entre des rochers qui, en rétrécissant son cours la rendent plus rapide; la droite des Saxons s'appuyait à la petite forteresse de Sonnenstein près de l'Elbe; dans un bas-fond, au pied de ces rochers, est située la ville de Pirna dont le camp prend son nom; le front, qui fait face au nord, s'étend jusqu'au Kohlberg, qui fait comme le bastion de cette courtine; devant règne un ravin de soixante à quatre-vingts pieds de profondeur, qui de là tournant vers la gauche entoure tout le camp, et va aboutir au pied du Königstein. Du Kohlberg, qui forme une espèce d'angle, une chaîne de rochers dont les Saxons occupaient la crête, ayant l'aspect tourné vers l'occident, va, laissant Rottendorf96-a devant soi, et se rétrécissant vers Struppen et Leupoldishayn, se terminer aux bords de l'Elbe à Königstein. Les Saxons, trop faibles pour remplir le contour de ce camp, qui présentait de tous côtés des rochers inabordables, se bornèrent à bien garnir les passages difficiles, et cependant les seuls par lesquels on pût venir à eux; ils y pratiquèrent des abatis, des redoutes, et des palissades; à quoi il leur était facile de réussir, vu les immenses forêts de pins dont les cimes de ces monts sont chargées.
Ce camp, ayant été examiné et reconnu en détail, pouvant passer pour un des plus forts de l'Europe, fut jugé à l'abri des surprises et des attaques; et comme le temps et la disette pouvaient seuls vaincre tant d'obstacles, on résolut de le bloquer étroitement, pour empêcher les troupes saxonnes de tirer des vivres des environs, et d'en user en tout comme dans un siége en forme. Dans cette vue, le Roi destina une partie de ses troupes à former la circonvallation de ce camp, et l'autre fut employée à former l'armée d'observation. Cette dispo<97>sition, la meilleure qu'on pût faire dans ces conjonctures, était d'autant plus sage, que les Saxons, réfugiés en hâte sur ces rochers, n'avaient pas eu le temps d'amasser beaucoup de subsistances, et que ce qu'ils en avaient, ne pouvait les nourrir tout au plus que deux mois.
Bientôt les troupes du Roi occupèrent tous les passages par lesquels les secours ou les vivres auraient pu arriver aux Saxons. Le prince de Bevern avec sa division prit les postes de Lohmen, Wehlen, Ober-Rathen et Schandau tout le long de l'Elbe; sa droite communiquait à la division du Roi par le pont qui fut construit proche de la briqueterie; dix bataillons et dix escadrons, qui campaient auprès du Roi, occupaient l'emplacement depuis l'Elbe et le village de Sedlitz jusqu'à Zehista, où commençait la division du prince Maurice, qui s'étendait au delà de Cotta par des détachements qu'il avait poussés à Leupoldishayn, Markersbach, Hennersdorf97-a et Hellendorf : en tout trente-huit bataillons et trente escadrons servaient à former cette circonvallation dont nous venons de parler.
D'autre part, le maréchal Keith eut le commandement de l'armée d'observation; elle consistait en vingt-neuf bataillons et en soixante-dix escadrons. Le prince Ferdinand de Brunswic entra le premier en Bohême avec l'avant-garde;97-b ayant passé Péterswalde, il rencontra à Nollendorf M. de Wied, général autrichien, avec dix bataillons de grenadiers et de la cavalerie à proportion; il le délogea du village; l'Autrichien prit la fuite, et le prince poursuivit sa marche. Le maréchal Keith s'approcha immédiatement après d'Aussig, et se campa à Johnsdorf, d'où il détacha M. de Manstein,97-c qui s'empara du château de Tetschen, pour assurer la navigation de l'Elbe. Les choses en<98> restèrent là en Saxe et dans cette partie de la Bohême jusqu'à la fin du mois.
D'un autre côté, M. de Piccolomini campait proche de Königingrätz sur les hauteurs situées entre le confluent de l'Adler et de l'Elbe, dans une position forte. Son camp, en figure angulaire, n'était abordable d'aucun côté. Le maréchal de Schwerin venait de déboucher avec son armée par le comté de Glatz, d'où il s'avança premièrement à Nachod, puis sur les bords de la Mettau, et enfin sur Augezd, où il défit M. de Buccow, qui vint au-devant de lui avec un corps de cavalerie, se fit bien battre, et perdit deux cents hommes. Le maréchal de Schwerin ne pouvait point entreprendre sur M. de Piccolomini dans le poste où se tenaient les Autrichiens : il n'y avait aucun grand projet à former, ni pour des siéges, ni pour des batailles; et comme la saison était d'ailleurs assez avancée, il se contenta de consumer toutes les subsistances qu'il trouva en Bohême, et fourragea jusque sous les canons de l'armée impériale, sans que M. de Piccolomini fît mine de s'en apercevoir. Un détachement de hussards prussiens défit quatre cents dragons des ennemis proche de Hohenmauth, et en ramena la plus grande partie prisonniers. Ce fut où se bornèrent les entreprises que le maréchal de Schwerin pouvait faire, parce que M. de Piccolomini se gardait bien de faire des mouvements, et demeurait scrupuleusement renfermé dans son camp, qui valait mieux qu'une infinité de places de guerre.
Les grands coups ne purent se porter cette année que par l'armée du Roi : cette armée avait les Saxons à prendre, et les secours qui pouvaient leur venir, à éloigner. Les choses s'embrouillaient et devenaient de jour en jour plus compliquées de ce côté-là; quoiqu'on eût enfermé le camp de Pirna de manière à y défendre l'entrée des vivres et des secours, il avait été toutefois impossible d'occuper tous les sentiers qui traversent les forêts et les rochers des environs. Cela faisait que le roi de Pologne entretenait encore, quoique avec peine,<99> une correspondance avec la cour de Vienne; et l'on apprit sur la fin de septembre que le maréchal Browne avait reçu des ordres de sa cour de dégager à tout prix les troupes saxonnes que les Prussiens bloquaient à Pirna. Le maréchal Browne, qui s'était avancé avec son armée à Budin, avait trois moyens d'exécuter ce projet : l'un, de marcher sur le corps du maréchal Keith, et de battre cette armée, ce qui n'était pas facile; le second, de prendre le chemin de Bilin et de Teplitz, et d'entrer en Saxe, soit par le Basberg, soit par Hellendorf;99-a mais ce mouvement l'obligeait à prêter le flanc au maréchal Keith, et exposait à être ruinés tous les magasins qu'il avait entre Budin et Prague. Le troisième moyen qui lui restait, était d'envoyer un détachement à la rive droite de l'Elbe, qui, prenant par Böhmisch-Leipa, Schluckenau et Rumbourg, se rendît à Schandau. Cette dernière expédition ne pouvait mener à rien de décisif, parce que les Prussiens, par le moyen de leur pont de Schandau, pouvaient envoyer des secours dans cette partie, et parce que le terrain du côté d'Ober-Rathen et Schandau, coupé, difficile, et susceptible de chicanes, fournit des passages assez impraticables pour qu'un bataillon y puisse arrêter une armée entière.
Comme l'issue de ce moment critique décidait de toute cette campagne, le Roi jugea que sa personne serait nécessaire en Bohême, pour s'opposer aux entreprises que ses ennemis pouvaient former. Il arriva le 28 au camp de Johnsdorf; les troupes y étaient postées sur un terrain étroit dominé par des éminences, le dos appuyé contre un escarpement de rochers si serrés, qu'on aurait eu de la peine, au cas d'une action, de porter des secours d'une partie de ce camp dans l'autre, sans s'exposer à de grands embarras. Cette position se trouvant telle, qu'il fallait l'abandonner à l'approche de l'ennemi, elle fut quittée le lendemain.
On était trop éloigné du maréchal Browne pour en avoir des<100> nouvelles; et comme il était important d'observer ses mouvements de plus près, le Roi se mit à la tête de l'avant-garde, composée de huit bataillons et de vingt escadrons, et il s'avança à Türmitz, où il apprit que le maréchal Browne passerait le lendemain l'Éger proche de Budin : c'était précisément le temps de l'approcher pour éclairer ses démarches, et de le combattre même, si l'occasion s'en présentait. Dans la situation où se trouvaient les choses, les projets de ceux qui commandaient ces armées étaient si contraires et si opposés, qu'il fallait nécessairement qu'ils en vinssent à une décision, soit que le maréchal Browne voulût se frayer le passage en Saxe l'épée à la main, soit qu'il n'agît que par des détachements.
Le 30, l'armée du Roi le suivit sur deux colonnes; à peine l'avant-garde eut-elle gagné la croupe du Paschkopole, qu'elle découvrit un camp dans la plaine de Lowositz : sa droite s'appuyait à Welhota; Lowositz était devant son front; Sulowitz se trouvait devant sa gauche, dont l'extrémité se prolongeait derrière l'étang de Tschischkowitz. L'avant-garde poursuivit sa marche; elle délogea de Welmina quelques centaines de pandours qui y tenaient un poste d'avertissement. Ce village est situé dans un bassin entouré de rochers, dont la plupart sont taillés en forme de pain de sucre; cependant cette hauteur et le bassin même dominent de beaucoup les plaines des environs. Le Roi fit avancer en diligence son infanterie, pour occuper les vignes et les débouchés qui versent dans la plaine de Lowositz. Les troupes arrivèrent vers les dix heures, et passèrent la nuit au bivouac à peu de distance derrière l'avant-garde, qui était postée vis-à-vis de l'ennemi.
Le lendemain, 1er d'octobre, on fut reconnaître dès la pointe du jour ce camp qu'on avait découvert la veille; un brouillard épais étendu sur la plaine empêcha de distinguer les objets. On voyait comme à travers un crêpe la ville de Lowositz, et à côté, de la cavalerie en deux troupes, dont chacune paraissait être de cinq escadrons.<101> Sur cela, on déploya l'armée : une colonne d'infanterie se forma par la droite, l'autre par la gauche; la cavalerie se mit en seconde ligne; car le terrain, se trouvant trop étendu pour la petite armée du Roi, l'obligea d'employer vingt bataillons pour sa première ligne, de sorte qu'il ne lui en resta qu'une réserve de quatre. Les autres se trouvaient ou à la garde des magasins, ou bien en détachements. Le champ de bataille sur lequel les troupes du Roi se formèrent, allait en s'élargissant par la gauche. Le penchant des montagnes vers Lowositz est couvert de vignes divisées en petits enclos de pierre à hauteur d'appui, qui distinguent les limites des propriétaires : M. de Browne avait farci ces enclos de pandours, pour arrêter les Prussiens; ce qui fit qu'à mesure que les bataillons de la gauche se formaient, ils s'engageaient avec l'ennemi aussitôt qu'ils entraient en ligne. Cependant ce feu était mal nourri, et comme les pandours ne faisaient pas une résistance vigoureuse, l'on se confirma dans l'opinion où l'on était, que ce détachement qu'on avait vu la veille campé dans ces environs, se préparait à la retraite, et que les pandours qui tiraillaient dans ces vignes, et les troupes de cavalerie répandues dans la plaine, étaient destinés à faire l'arrière-garde des autres : cela paraissait d'autant plus plausible, que l'on ne découvrait aucune trace d'une armée. On se trompait beaucoup dans ces suppositions; car les premières troupes qu'on avait vues à Lowositz, étaient l'avant-garde de M. de Browne. Les Autrichiens ignoraient la marche de l'armée du Roi, et n'en furent informés qu'en la voyant déboucher de Welmina; le maréchal Browne en fut averti par son général commandant son avant-garde; sur quoi, la nuit même il vint le joindre avec son armée à Lowositz.
Le brouillard dont nous avons parlé, dura jusque vers les onze heures, et ne se dissipa tout à fait que lorsque l'action fut près de finir. En supposant toujours qu'on n'avait affaire qu'à une arrière-garde, on fit tirer quelques volées de canon contre la cavalerie autri<102>chienne; ce qui l'inquiéta et la fit changer de position et de forme à plusieurs reprises : tantôt elle se mettait en échiquier, quelquefois sur trois lignes, puis en ligne contiguë; quelquefois cinq ou six troupes tirant vers leur gauche disparaissaient, bientôt après elles paraissaient plus nombreuses que du commencement; enfin, ennuyé de cette manœuvre oiseuse, qui faisait perdre le temps et n'avançait point les affaires, le Roi crut qu'en faisant charger cette cavalerie par une vingtaine d'escadrons de dragons, cette arrière-garde serait bien vite dissipée, et le combat terminé. Sur quoi les dragons descendirent des hauteurs, et se formèrent au bas sous la protection de l'infanterie prussienne; ils choquèrent et renversèrent tout ce qu'ils trouvèrent vis-à-vis d'eux. En poursuivant les fuyards, ils reçurent du village de Sulowitz en flanc et de front un feu de petites armes et d'artillerie qui les ramena à la position où ils s'étaient formés au pied des vignes : on jugea dès lors qu'il ne s'agissait plus d'arrière-garde, mais que le maréchal Browne se trouvait avec les Autrichiens vis-à-vis de l'armée.
Le Roi voulut retirer sa cavalerie, pour la remettre en seconde ligne sur la hauteur; mais, par des quiproquo malheureusement trop fréquents les jours de bataille, il arriva que tous les cuirassiers s'étaient joints aux dragons, et qu'avant que l'aide de camp pût leur apporter les ordres du Roi, s'abandonnant à leur impétuosité et au désir de se signaler, ils donnèrent pour la seconde fois; ils eurent bientôt culbuté la cavalerie ennemie; quoiqu'ils reçussent le même feu qui avait ramené les dragons à la première charge, ils poursuivirent les Autrichiens à trois mille pas; emportés par leur ardeur, ils franchirent un fossé large de dix pieds, à trois cents pas au delà duquel un autre fossé plus profond encore couvrait l'infanterie impériale. M. de Browne fit aussitôt exécuter soixante pièces de ses batteries contre la cavalerie prussienne, ce qui l'obligea de revenir se reformer au pied de la montagne, ce qu'elle exécuta avec ordre, n'étant point pour<103>suivie. Le Roi ne voulant plus risquer qu'elle se livrât à de pareilles saillies, la fit repasser en seconde ligne derrière son infanterie.
Comme cette cavalerie revenait, le feu de la gauche commençait à devenir et plus vif et plus considérable : le maréchal Browne voulait changer l'état de la question; se voyant sur le point d'être assailli, il aima mieux attaquer lui-même. Dans cette vue, il avait fait filer vingt bataillons derrière Lowositz, qui s'étant glissés successivement le long de l'Elbe, vinrent soutenir les pandours qui se battaient dans les vignes, et tâchèrent même de tourner le flanc gauche des Prussiens. L'infanterie les repoussa vigoureusement; elle força les enclos des vignes les uns après les autres, et descendant dans la plaine, elle poursuivit quelques bataillons ennemis, qui de frayeur se précipitèrent dans l'Elbe; une autre troupe de fuyards se jeta dans les premières maisons de Lowositz, faisant mine de s'y défendre; alors quelques bataillons de la droite furent détachés, pour renforcer la gauche de sorte que la gauche des Prussiens s'appuyât à l'Elbe, et dans cette disposition elle s'avança fièrement d'un pas déterminé sur Lowositz, sans que la droite de l'armée du Roi quittât la hauteur où elle était appuyée. Les grenadiers tirèrent dans les maisons par les portes et les fenêtres; ils y mirent enfin le feu, pour achever plus vite; et quoique ces troupes eussent consumé toute leur poudre, cela n'empêcha pas que les régiments d'Itzenplitz et de Manteuffel n'entrassent dans Lowositz la baïonnette baissée, et ne forçassent neuf bataillons tous frais que M. de Browne y avait envoyés, à leur céder la place et à prendre honteusement la fuite. Alors toutes les troupes de l'ennemi qui avaient combattu dans cette partie, lâchèrent le pied, et cédèrent la victoire aux Prussiens.
Le Roi ne put pas profiter de ce succès autant qu'il l'aurait souhaité, parce qu'il n'avait proprement battu que l'aile droite des Impériaux : ils occupaient encore le village de Sulowitz, et comme leur gauche se trouvait postée derrière le fossé dont nous avons parlé, ils<104> ne donnèrent point prise à la cavalerie prussienne. En même temps, M. de Browne fit faire un beau mouvement à ses troupes : il fit avancer quelques brigades de sa gauche qui n'avaient point combattu, dont il se servit pour couvrir ses troupes débandées, qui sortaient de Lowositz et s'enfuyaient en grand désordre. Il se retira la nuit, et fit occuper Leitmeritz par un détachement qui rompit le pont de l'Elbe qu'il avait devant soi. Le maréchal avec le gros de son armée reprit son camp de Budin, et détruisit tous les ponts de l'Éger, pour en interdire le passage aux Prussiens. L'armée du Roi perdit en morts et blessés douze cents hommes à ce combat; MM. de Quadt et de Lüderitz,104-a tous deux généraux de bataille, y furent tués;104-b on ne fit que sept cents prisonniers à l'ennemi, parmi lesquels un prince Lobkowitz, général des Impériaux : si la cavalerie avait pu être employée sur la fin de l'action, le nombre des prisonniers aurait été bien plus considérable.
Le prince de Bevern fut détaché le lendemain avec huit mille hommes à Tschischkowitz, village situé à la droite de la position du Roi, à demi-chemin de Budin. Le prince envoya de son camp des partis le long de l'Éger, pour en reconnaître les passages, mais plus encore pour donner de l'attention et causer de la jalousie à M. de Browne, afin de le contenir par ces démonstrations, et l'empêcher de penser à secourir le roi de Pologne et les troupes saxonnes. L'armée de Bohême s'en tint là; trop faible pour rien entreprendre contre<105> l'ennemi, elle se contenta de l'observer. Le Roi ne pouvait effectivement point agir offensivement. Pour donner de vraies jalousies à M. de Browne, il fallait passer l'Éger, et si on le faisait, le détachement des Impériaux de Leitmeritz, se trouvant à dos des Prussiens, était à portée de leur enlever leur magasin d'Aussig; de plus, en passant l'Éger on s'éloignait trop de sa ligne de défense, et l'on se mettait hors de portée d'envoyer en Saxe de prompts secours. Si l'on se déterminait à prendre Leitmeritz, loin de gagner par là, on se trouvait dans un plus grand embarras, parce qu'on s'affaiblissait par la garnison que demandait cette Aille, et que, ne pouvant pas garnir les hauteurs qui l'environnent et qui la dominent, on aurait exposé cette garnison à être enlevée sitôt que l'ennemi eût entrepris sur elle. Toutes ces raisons firent que le Roi fut obligé de se contenter d'avoir gagné une bataille au commencement d'une guerre, et qu'il borna ses projets à empêcher que M. de Browne ne fît des détachements, ou, s'il en faisait, d'en envoyer d'aussi forts au secours du camp de la Saxe.
L'armée prussienne de Bohême était de la moitié plus faible que celle des Impériaux; mais les troupes étaient si bonnes, si bien disciplinées, et les officiers si valeureux, qu'elles se comptaient, sinon supérieures, du moins égales à l'ennemi. Quelle que soit la bonne opinion qu'on a de soi-même, la sécurité est toujours dangereuse à la guerre, et il vaut mieux prendre des précautions superflues, que de négliger les nécessaires; et comme le nombre était du côté des Autrichiens, que d'ailleurs le Roi aurait pu se voir obligé à faire des détachements, il ordonna qu'on travaillât à élever quelques batteries et à retrancher les parties les plus faibles de son camp; cela se trouva d'autant mieux fait, qu'on apprit le 6 que M. de Browne avait détaché à la sourdine quelques régiments de son armée; que ce corps, taxé à six mille hommes, ayant passé par Raudnitz, s'avançait vers Böhmisch-Leipa, pour suivre de là la route qui mène en Saxe. Quoique ce détachement ne causât pas de grandes appréhensions, le<106> Roi en avertit le margrave Charles et le prince Maurice demeurés en Saxe, et il se mit à la tête d'un renfort de cavalerie, pour les mener au camp de Sedlitz, où il n'était resté que trente escadrons; ce qui n'était pas suffisant pour arrêter les Saxons, surtout s'ils avaient entrepris de percer du côté de Hellendorf et de Teplitz. Sa Majesté partit le 13 de Lowositz avec quinze escadrons, et arriva le 14 à midi à son armée, qu'elle trouva à Struppen, quartier que le roi de Pologne avait occupé durant tout le temps de la bloquade des Saxons.
Les choses avaient entièrement changé de face en Saxe, depuis que le Roi avait pris le commandement de son armée en Bohême : la bataille de Lowositz avait frappé la cour; elle n'espérait que faiblement dans l'assistance des Impériaux. Les troupes étaient menacées d'une disette prochaine, ce qui fit tenter aux généraux saxons de se frayer eux-mêmes un chemin à travers les Prussiens : leur projet étant de se sauver en passant l'Elbe, ils tentèrent de jeter un pont à Wehlstädtl; vis-à-vis de ce lieu se trouvait une redoute prussienne qui coula à fond quelques-uns de leurs bateaux, ce qui dérangea leurs mesures. Ils changèrent de dessein, et firent transporter leurs pontons à Halbstadt, qu'ils regardaient comme le lieu le plus propre et le plus convenable pour leur sortie, surtout à cause des secours que M. de Browne venait de leur promettre de nouveau.
Toutes les opérations que les armées firent alors dans ces contrées, se trouvaient si intimement liées avec le local du terrain, que nous sommes obligé pour l'intelligence du lecteur de lui en donner l'idée la plus nette que nous pourrons. Par la description que nous avons faite du poste de Pirna, on a pu juger de la force de son assiette : mais s'il était difficile de l'emporter, il n'était pas moins difficile d'en sortir. La plus naturelle, la plus aisée de ses issues est par Leupoldishayn; en descendant de leurs rochers, les Saxons prenaient, par Hermsdorf et Hellendorf, le chemin de la Bohême : ce n'est pas à dire qu'ils auraient forcé ce passage sans perte; il y avait toutefois<107> apparence qu'ils auraient sauvé une partie de leur monde. Teplitz une fois gagné, ils ne rencontraient plus que de légers obstacles, et personne ne pouvait les empêcher de se joindre par Éger aux Autrichiens. Il y a toute apparence que les généraux saxons ne connaissaient pas les situations de Halbstadt, de Burkersdorf, de Schandau, du Ziegenrück, et surtout qu'ils ignoraient la disposition dans laquelle les Prussiens occupaient ces postes; sans quoi ils ne se seraient jamais exposés dans une aussi mauvaise affaire.
M. de Lestwitz107-a était posté avantageusement avec onze bataillons et quinze escadrons entre Schandau et un village nommé Wendisch-Fähre; M. de Browne, qui était entré en Saxe à la tête de son détachement, vint se camper vis-à-vis de lui. Les Autrichiens occupèrent les villages de Mitteldorf et d'Altendorf; mais trouvant M. de Lestwitz plus en force qu'ils ne l'avaient prévu, ils eurent bien garde de l'attaquer. M. de Browne ne pouvait pas se porter sur Burkersdorf, dont une chaîne de rochers impraticables le séparait; il ne trouvait pas son compte à s'engager avec M. de Lestwitz; et cependant, pour prêter la main aux Saxons du côté d'Altstadt, il était obligé de faire défiler son monde deux à deux par des chemins étroits, vis-à-vis des Prussiens et sous le feu de leurs petites armes. De tous ces différents partis il n'y en avait aucun qu'un homme expérimenté, comme l'était M. de Browne, pût prendre sans risquer sa réputation; il aima donc mieux se tenir dans l'inaction, que de mener inutilement ses troupes à la boucherie.
Du côté d'Altstadt, où les Saxons avaient résolu de passer l'Elbe, il y a à la rive droite de ce fleuve une petite plaine dominée par le Lilienstein, rocher escarpé qui en borne une partie; aux deux côtés de ce rocher se présentaient cinq bataillons prussiens, aux ordres de M. de Retzow, derrière des abatis qui, en forme de croissant, allaient s'appuyer des deux côtés au coude que l'Elbe forme en cet endroit;<108> cinq cents pas derrière ce poste, six bataillons et cinq escadrons occupaient le défilé de Burkersdorf; derrière ce défilé se trouve une chaîne de rochers âpres et escarpés, nommée le Ziegenrück, qui embrassant tout ce terrain, aboutit des deux côtés à l'Elbe. Pour percer de ce côté-là, les Saxons avaient donc trois postes à forcer consécutivement, les uns plus redoutables que les autres; ce fut néanmoins pour tenter leur évasion de ce côté qu'ils commencèrent dès le 11 d'octobre à établir leurs ponts. Les Prussiens eurent bien garde de ne les point traverser dans cet ouvrage. Leur descente de Thürmsdorf vers l'Elbe se trouva assez praticable; mais lorsque leurs ponts furent achevés, et que de l'autre bord ils voulurent monter le rocher pour gagner la plaine d'Altstadt, ils ne trouvèrent qu'un sentier étroit, dont les pêcheurs se servaient. Une demi-journée s'écoula à y faire passer deux bataillons; les pluies abondantes qui tombèrent, achevèrent d'abîmer ce chemin; ils furent obligés de laisser leurs canons, qu'il était impossible de transporter à l'autre rive : ainsi toute leur artillerie resta sur les retranchements qu'ils venaient d'abandonner. La lenteur de leur passage fut cause que la cavalerie, l'infanterie, le bagage, l'arrière-garde de tout ce corps pêle-mêle et en désordre demeurèrent aux environs de Struppen.
Le 13, avant le jour, le prince Maurice d'Anhalt fut le premier averti de l'évasion des Saxons; l'armée prit sur-le-champ les armes, et se mettant sur sept colonnes, elle gravit encore avec peine ces rochers du camp de Pirna, tout privés qu'ils étaient de leurs défenseurs; les généraux la reformèrent sur la crête de ces montagnes, entre le Sonnenstein et Rottendorf.108-a M. de Zieten108-b avec ses hussards attaqua aussitôt l'arrière-garde de l'ennemi, et la poussa jusqu'à Thürmsdorf; les compagnies franches et les chasseurs prussiens se<109> logèrent dans un bois proche de cette arrière-garde, d'où ils l'incommodèrent beaucoup par leur feu. Le prince Maurice, qui survint, envoya le régiment de Prusse infanterie occuper une hauteur qui était à dos des Saxons. A peine eut-on tiré deux coups de canon de cette colline, que les Saxons, surpris du feu qu'ils recevaient d'un endroit où ils ne s'y attendaient pas, se mirent en désordre, et prirent soudain la fuite; les hussards se jetèrent sur le bagage, qu'ils pillèrent, et les chasseurs se glissèrent dans un bois proche de l'Elbe, d'où ils tirèrent sur l'arrière-garde saxonne, qui finissait de passer le pont.
Cela acheva de leur tourner la tête : ils coupèrent eux-mêmes les câbles de leur pont; le courant l'entraîna jusqu'à Rathen, où les Prussiens le prirent. Le prince Maurice fit aussitôt camper les troupes sur les hauteurs de Struppen; leur gauche allait vers l'Elbe, et leur droite se prolongeait derrière un ravin profond qui va se perdre du côté de Hennersdorf.109-a
Telle était la situation des choses lorsque le Roi arriva avec ses dragons à Struppen. Les Saxons attendaient un certain signal dont ils étaient convenus que les Impériaux devaient leur donner, pour attaquer de concert les Prussiens : ce signal ne se donna point; cela acheva de leur faire perdre l'espérance. Ils ne furent que trop convaincus alors, en voyant la manière dont M. de Retzow était posté, qu'il leur était impossible de se faire jour à eux-mêmes. D'un autre côté, le roi de Pologne, qui s'était réfugié au Königstein, pressait de là vivement ses généraux d'attaquer M. de Retzow au Lilienstein, et le comte Rutowski lui remontrait à son tour avec force l'inutilité de cette entreprise, qui mènerait à une effusion de sang et à un massacre dont après tout le Roi ne pourrait tirer aucun avantage. M. de Browne se trouvait dans un cas aussi embarrassant, mais moins fâcheux : il avait devant lui un corps de troupes prussiennes, supérieur en nombre; et comme toute communication lui était coupée avec<110> le Königstein, qu'il rencontrait des empêchements physiques dans toutes les entreprises qu'il pouvait former pour dégager les Saxons, et qu'il avait à craindre que, ces troupes se rendant prisonnières à son insu, il aurait aussitôt toute l'armée prussienne sur les bras, il jugea la situation de l'armée saxonne désespérée, et ne pensant plus qu'à sauver son propre détachement, il se retira le 14 en Bohême. Les hussards prussiens le suivirent; M. de Warnery110-a battit son arrière-garde, et passa trois cents grenadiers croates au fil de l'épée.
Cette entreprise si mal exécutée donna lieu aux reproches les plus injurieux que se firent les généraux saxons et les généraux autrichiens; ils avaient tort les uns et les autres : le général saxon qui avait fait le projet de cette évasion, était le seul coupable; il avait sans doute consulté des cartes fautives; il n'avait jamais été sur les lieux, dont le local lui était inconnu : car quel homme sensé choisira pour sa retraite un défilé qui passe par des rochers escarpés dont l'ennemi est le maître? Ces lieux, tout à fait contraires par leurs dispositions aux manœuvres que les Autrichiens et les Saxons avaient dessein d'y faire, furent les vraies causes des malheurs que les Saxons y trouvèrent; tant l'étude du terrain est importante, tant le local décide des entreprises militaires et de la fortune des États.
Le roi de Pologne fut du haut du Königstein spectateur de la situation déplorable où se trouvaient ses troupes, manquant de pain, entourées d'ennemis, et ne pouvant pas même par une résolution désespérée se faire jour aux dépens de leur sang, parce que toute ressource leur était ôtée; pour ne les point voir périr de faim et de misère, il fut obligé de consentir qu'elles se rendissent prisonnières de guerre, et qu'elles missent bas les armes. Le comte Rutowski fut chargé de dresser cette triste capitulation : tout ce corps se rendit<111> ainsi, et les officiers s'engagèrent sur leur honneur de ne plus servir contre les Prussiens durant cette guerre; sur quoi, comptant sur leur parole, on les relâcha. Pour ne point humilier un ennemi vaincu, le Roi fit rendre au roi de Pologne les drapeaux, les étendards et les timbales qui appartenaient à ses troupes; il consentit aussi d'accorder la neutralité à la forteresse de Königstein. Lors même qu'il tâchait d'adoucir le sort du roi de Pologne, Auguste II111-a concluait en secret un traité avec l'Impératrice-Reine, par lequel il lui cédait, moyennant un certain subside, quatre régiments de dragons et deux pulks d'uhlans, qu'il entretenait en Pologne : ces procédés ne servaient qu'à justifier la conduite que les Prussiens avaient tenue jusqu'alors. Le roi de Pologne, dégoûté de la guerre plus que jamais, après la scène qui venait de se passer, demanda le libre passage pour sa personne, afin d'aller s'établir en Pologne; non seulement on le lui accorda, mais on poussa l'attention jusqu'à faire retirer toutes les troupes prussiennes qui se trouvaient sur son passage, pour lui dérober des objets qui ne pouvaient que lui faire de la peine; il partit le 18 avec ses deux fils et son ministre pour Varsovie.
L'armée saxonne qui venait de se rendre, consistait en dix-sept mille têtes; l'artillerie qu'on prit, passait quatre-vingts pièces de canon. Le Roi distribua ces troupes, et en forma vingt nouveaux bataillons d'infanterie; mais il commit la faute de n'y point mêler de ses sujets, à l'exception des officiers, qui étaient tous de ses États : cette faute influa dans la suite sur le peu d'usage qu'on tira de ces régiments, et sur les mauvais services qu'ils rendirent.
Après la reddition des Saxons, le Roi retourna en Bohême, pour en retirer son armée. Le maréchal Keith quitta le 25 le camp de Lowositz,111-b et se replia sur Linay, sans que l'ennemi le suivît; le régi<112>ment d'Itzenplitz,112-a qui gardait un gué de l'Elbe au village de Salesel, fut attaqué cette nuit même, et se défendit si bien, que non content de repousser l'ennemi, il lui fit encore des prisonniers. De Linay l'armée continua paisiblement sa marche par Nollendorf, Schönwald, Gieshübel, et arriva le 30 en Saxe;112-b le Roi la fit cantonner entre Pirna et les frontières de la Bohême.
En même temps que l'armée du Roi entrait en Saxe, le maréchal de Schwerin quittait les environs de Königingrätz et se retirait en Silésie. Comme il était en marche vers Skalitz, il fut suivi par quelques milliers de Hongrois, qui harcelaient son arrière-garde. Le maréchal, qui n'entendait pas raillerie, se mit à la tête d'une partie de sa cavalerie, fondit brusquement sur eux, les défit, et les poursuivit jusqu'à Smirschitz; après quoi il reprit tranquillement sa marche, et se trouva avec son armée le 2 de novembre sur la frontière de la Silésie.
La tranquillité dans laquelle se tinrent les ennemis, permit de faire entrer de bonne heure les troupes dans leurs quartiers; on forma le cordon pour les quartiers d'hiver. Le prince Maurice eut le commandement de la division qu'on envoya à Chemnitz et à Zwickau, d'où il envoya des détachements pour garder les gorges de la Bohême, et fit retrancher les postes d'Asch, d'Oelsnitz et du Basberg; M. de Hülsen commandait les brigades de Freyberg et de Dippoldiswalda, et il tenait les postes de Sayda, de Frauenberg et d'Einsiedel. Le Roi confia à M. de Zastrow la gorge de Gieshübel et le passage de Hellendorf; de là, en passant l'Elbe, le cordon prenait de Dresde par Bischofswerda jusqu'à Bautzen, où une tête de dix bataillons et d'autant d'escadrons était prête à porter des secours où le besoin le demanderait. M. de Lestwitz se tenait à Zittau avec six ba<113>taillons; pour assurer sa communication, il avait des détachements à Hirschfeld, Ostritz et Marienthal. Le prince de Bevern avait les postes de Görlitz et de Lauban sous ses ordres, avec dix bataillons et quinze escadrons. M. de Winterfeldt et le prince de Würtemberg, qui allèrent avec un détachement en Silésie, continuaient le cordon, en prenant de Greifenberg et Hirschberg à Landeshut et Friedland. M. de Fouqué couvrait le comté de Glatz; un autre corps de l'armée du maréchal de Schwerin hiverna du côté de Neustadt, et servit à couvrir la Haute-Silésie contre les incursions que les Impériaux y auraient pu faire de la Moravie.
Ce fut dans cette disposition que les troupes prussiennes passèrent l'hiver de 1756 à 1757.
104-a David-Hans-Christophe de Lüderitz. Voyez t. III, p. 186.
104-b Le Roi ne fait mention ni du général-major Henning-Ernest d'Oertzen, ni du lieutenant-général François-Ulric de Kleist, qui furent blessés mortellement à Lowositz. Il a passé également sous silence le major de Moller, que nous trouvons mentionné avec éloge dans la Lettre de Sa Majesté le roi de Prusse à Son Excellence M. le maréchal comte de Schwerin, en date du 2 d'octobre 1756 (7 pages in-4, imprimées en 1756, sans lieu d'impression). Le Roi s'exprime ainsi : « Moller, de l'artillerie, a fait des merveilles, et m'a prodigieusement secondé. » Charles-Frédéric de Moller fut promu au grade de colonel le 11 mars 1757, et mourut à Freyberg le 8 novembre 1762. En récompense de sa belle conduite à la bataille de Lowositz il fut nommé lieutenant-colonel et décoré de l'ordre pour le mérite.
107-a Jean-George de Lestwitz, lieutenant-général d'infanterie.
108-a Rothwernsdorf.
108-b Hans-Joachim de Zieten, lieutenant-général depuis le 12 août 1756, devint général de la cavalerie sur le champ de bataille de Liegnitz, le 15 août 1760. Voyez t. III, p. 173.
109-a Langenhennersdorf.
110-a Charles-Emmanuel de Warnery était lieutenant-colonel dans le régiment de hussards no 4. Au mois de mai 1757, après la mort du général de Wartenberg, il devint colonel et chef du régiment de hussards no 3. L'année suivante, il entra au service de Pologne, et obtint le grade de général-major.
111-a Auguste III.
111-b Les équipages de l'armée du feld-maréchal Keith quittèrent le camp de Lowositz le 21 octobre; la cavalerie suivit le 22; et le 23, le reste de l'armée arriva au camp du Roi à Linay.
112-a C'est le 13e régiment d'infanterie de la Stammliste de 1806.
112-b L'armée quitta Linay le 26, et elle atteignit Deutsch-Neudörfel; le 27, elle arriva à Schönwald, et le 28, à Gross-Sedlitz. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1756, no 132, p. 555.
93-a Les éditeurs de 1788 avaient substitué de la Poméranie dans l'Électoral, ce qui était plus exact.
94-a Gross-Sedlitz.
94-b Le prince de Brunswic-Bevern ci-mentionné est Auguste-Guillaume, né en 1715, dont le nom paraîtra souvent jusqu'à la bataille de la Lohe, à la suite de laquelle il retourna à son gouvernement de Stettin. En 1750 il devint lieutenant-général, et le 28 février 1759 il fut nommé général de l'infanterie. Depuis 1741 jusqu'à sa mort, arrivée en 1781, il a été chef du régiment d'infanterie no 7 de la Stammliste de 1806.
94-c A la fin de ce volume on trouve cette Correspondance de Frédéric avec le roi de Pologne.
95-a Le titre porte : Mémoire raisonné sur la conduite des cours de Vienne et de Saxe, et sur leurs desseins dangereux contre Sa Majesté le roi de Prusse, avec les pièces originales et justificatives qui en fournissent les preuves. Berlin, 1756, chez Chrétien-Frédéric Henning, imprimeur du Roi, 44 et 36 pages in-4. Une autre édition in-4 de ce Mémoire raisonné porte A Berlin, chez Chrétien-Frédéric Henning, imprimeur du Roi, 1756; elle est, à quelques différences typographiques près, tout à fait semblable à la première édition, tant pour le contenu que pour le nombre des pages.
96-a Rothwernsdorf.
97-a Langenhennersdorf.
97-b Le 13 septembre. Voyez Denkwürdigkeiten für die Kriegskunst und Kriegsgeschichte. Berlin, 1819, cahier IV, p. 95.
97-c Christophe-Hermann de Manstein, général-major.
99-a Nollendorf.