<262> soin de toutes vos commodités; on vous préparerait une bonne maison dans un village prochain du camp, où je serais à portée de vous aller voir, et d'où vous pourriez vous rendre à ma tente en peu de temps, et selon que votre santé le permettrait. Je vous prie d'y aviser, et de me dire naturellement ce que vous pourrez faire en ma faveur. Ne hasardez rien toutefois qui puisse vous causer le moindre chagrin de la part de votre cour. Je ne veux pas payer au prix de vos désagréments les moments de ma félicité.

La marquise, dont je viens de recevoir une lettre, me marque qu'elle se flattait de ma discrétion à l'égard de toutes les pièces manuscrites que je tiens de votre amitié. Je ne pense pas que vous ayez la moindre inquiétude sur ce sujet; vous savez ce que je vous ai promis, et d'ailleurs l'indiscrétion n'est point du tout mon défaut.

Lorsque je reçois de vos nouveaux ouvrages, je les lis en présence de M. Keyserlingk et de M. Jordan, après quoi je les confie à ma mémoire, et je les retiens comme les paroles de Moïse que les rois d'Israël étaient obligés de se rendre familières.a Ces pièces sont ensuite serrées dans l'arrière-cabinet de mes archives, d'où je ne les retire que pour les lire moi seul. Vos lettres ont un même sort, et, quoiqu'on se doute de notre commerce, personne ne sait rien de positif là-dessus. Je ne borne point à cela mes précautions. J'ai pourvu plus loin, et mes domestiques ont ordre de brûler un certain paquet, en cas que je fusse en danger, et que je me trouvasse à l'extrémité.

Ma vie n'a été qu'un tissu de chagrins, et l'école de l'adversité rend circonspect, discret et compatissant. On est attentif aux moindres démarches lorsqu'on réfléchit sur les conséquences qu'elles peuvent avoir, et l'on épargne volontiers aux autres les chagrins qu'on a eus.

Si votre travail et votre assiduité vous empêchent de m'écrire, je vous en dois de l'obligation, bien loin de vous blâmer; vous travaillez pour ma satisfaction, pour mon bonheur; et quand la maladie


a Deutéronome, chap. XXXI, v. 19, et chap. XXXII, v. 46.