3. DE M. DE BEAUSOBRE.
Berlin, 1er octobre 1737.
Monseigneur
Ce n'est pas sans quelque répugnance que je cède aux instances réitérées d'un de mes neveux, qui tâche de relever notre famille du terrible abattement où elle est tombée à cause de la religion. Mon<132> neveu, monseigneur, est un jeune homme de trente ans, né et élevé dans les armes par feu M. de Beausobre son père, mort colonel au service de France. Son père le laissa lorsqu'il n'était encore qu'enseigne, mais sa capacité dans le service l'a élevé en peu de temps au grade de major où il est parvenu.
Son ambition est d'être décoré de quelque ordre militaire, et comme il ne saurait l'être en France, où sa religion l'en exclut, il s'est tourné de ce côté-ci. Il me prie d'intercéder pour lui auprès de V. A. R., afin d'obtenir l'ordre de Malte, dont Monseigneur le margrave Charles est grand maître dans les États de Sa Majesté. Les deux actes ci-joints font voir d'où il descend, et comme il est reconnu par la cour de France et par les magistrats de sa patrie pour être sorti de l'ancienne maison de Beaux, très-puissante autrefois en Provence, et dont Arnaud de Beausobre, mon bisaïeul, transporta la famille en Suisse.
Je ne doute point, monseigneur, de la généreuse bienveillance de V. A. R. Portée par le plus excellent et le plus beau naturel du monde à faire du bien, j'ose espérer de sa bonté tout ce qui conviendra à sa dignité et à sa prudence.
Si mon neveu a quelque espérance d'obtenir l'honneur où il aspire, il fera un voyage ici au printemps, ses affaires l'appelant à Paris pour tout l'hiver. Ses lettres font voir qu'il a beaucoup d'esprit. On dit qu'il est assez bien fait de sa personne, et l'amitié dont le comte de Belle-Isle l'honore est un bon témoignage de sa capacité.
V. A. R. verra sans doute avec surprise d'où un simple ministre tire son origine. Depuis que nous avons perdu les bénéfices, le ministère évangélique n'est plus que pour le peuple. Si l'abaissement où nous sommes tombés était la peine de nos forfaits, j'aurais raison d'en rougir. Mais, monseigneur, j'ose l'assurer à V. A. R., je suis la troisième victime de la religion. Un de mes ancêtres fut Albigeois,<133> et eut le sort des comtes de Foix et de Toulouse. Il fut dépouillé d'une grande partie de ses biens par les inquisiteurs et par les croisés. Arnaud, mon bisaïeul, ayant échappé au carnage de la Saint-Barthélemy, se réfugia en Suisse, où il ne sauva qu'un fort petit débris de son naufrage. Je suis le troisième que la religion a exilé et dépouillé. C'est, monseigneur, ce qui m'a fait prendre pour devise un vieux temple ruiné et abandonné, avec ces mots : Una vetustate sacrum. « Il ne lui reste plus rien de vénérable que son ancienneté. » Malheureusement encore cette ancienneté s'étend jusqu'à la personne. Je suis vieux, monseigneur, et je ne trouve presque plus rien de vivant chez moi que la profonde vénération et le zèle inviolable avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Monseigneur
de Votre Altesse Royale
le très-humble, très-obéissant et très-soumis serviteur,
de Beausobre.